Hambourg

Vue de la ville de Hambourg vers 1900 (tous droits réservés).

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Dresden, le 29 août 1906
Ma chère famille,
(…)
Je reprends mon récit de voyage que j’avais je crois laissé à mon départ de Berlin.

Nous ne sommes arrivés que tard à Hamburg. Le Baedecker indiquait un hôtel où il n’y avait malheureusement plus de place. Nous sommes alors allés à l’hôtel le plus voisin, une petite bicoque où au 4e étage nous avons trouvé une grande chambre à 3 lits, décrépie encombrée et sentant le lysol [nettoyant pour cuvette]. Il était trop tard pour chercher autre chose, nous ne savions pas où et nous sommes restés. Nous avons d’ailleurs assez bien dormi.

Il ne faut pas s’imaginer qu’Hamburg est au bord de la mer et nous nous en rendîmes compte le lendemain en parcourant la ville. L’embouchure de l’Elbe se prolonge bien loin et ce n’est que cette embouchure très large il est vrai que nous avons vue. D’ailleurs l’endroit où se tiennent les vaisseaux est très loin du centre de la ville. Pour nous en rendre compte, nous avons pris un billet dans une agence. Celle-ci pour 3 marks par personne promène en voiture et en bateau les voyageurs pendant 3 ½ à 4 heures. C’est à 10 heures après une petite excursion en ville que nous sommes montés en voiture. Il y en avait 6 avec environ 100 personnes. Chacun recevait un petit guide et chaque voiture était pourvue d’un agent de la compagnie qui donnait des détails sur le paysage. Nous vîmes ainsi rapidement les principaux monuments et bâtiments de la ville et nous nous acheminâmes vers le port. Là en descendant de voiture je vois campé devant moi, les deux mains dans les poches, Short, l’Américain [dont Paul Baillod a fait la connaissance dans sa pension de Dresde] qui était ici en pension et qui revenait du cap Nord en Norvège. Il était à Hamburg depuis quelques jours et m’ayant aperçu de son hôtel il avait couru à l’embarcadère pour me serrer la rame. Nous ne pûmes causer que quelques instants, il me cria de lui écrire à Paris et le bateau se mit en marche. Nous naviguâmes environ ½ [heure] dans le port. Le temps était malheureusement très brumeux et nous rendait tout très terne. Nous allions en côtoyant les docks armés de grues colossales qui pivotent sur elles-mêmes et peuvent soulever jusqu’à 12'000 kilogrammes. Le long des jetées étaient des bâtiments de toute grandeur et de toute sorte. On les voyait d’abord indécis, noirs dans le brouillard puis en sortant peu à peu, grands et majestueux dans leur immobilité. Plusieurs étaient entourés de chaloupes ou de remorqueurs. De temps en temps un canot à vapeur de l’administration passait près de nous très vite, ou bien c’était un bateau de débarquement si chargé qu’il n’avançait guère.

Enfin nous arrivâmes près d’un vaisseau de passagers qui allait bientôt partir pour l’Afrique du Sud. Nous le visitâmes, mais ce ne fut pas sans peine. Ces vaisseaux ont des portes si étroites et des escaliers si raides que pour tant de monde la visite était difficile. En outre chacun voulait être près du matelot qui expliquait de sorte qu’il y avait des bousculades, des tiraillements sans fin. Ce que je vis m’intéressa beaucoup. Les cabines même de 1ère classe sont très étroites mais luxueuses. Nous avons vu le salon, la chambre à manger, des cabines de toutes classes, le poste d’équipage etc. Il n’y avait rien là de bien nouveau et chacun avait hâte de sortir de ce tohu-bohu. A Kiel j’ai vu davantage et mieux aussi vous décrirai-je la chose plus en détail lorsque je parlerai de cette ville. Nous fîmes ensuite encore une petite promenade dans le port et nous débarquâmes à un endroit très différent de l’embarquement. Il y eut là ¼ [d’heure] d’arrêt devant un restaurant puis nous reprîmes les voitures. Il se mit alors à pleuvoir et la rentrée n’eut rien de bien attrayant. J’achetai la photographie prise au départ et que je vous ai envoyée déjà et nous allâmes dîner. L’après-midi nous eûmes une grosse déception. Nous voulions visiter les établissements Hagenbeck que le Baedecker indiquait dans un quartier assez central de la ville et quand nous y arrivâmes après de longues recherches nous apprîmes que le tout était transporté en dehors de Hamburg à ½ (heure) de distance en tram plus ½ (heure) à pied depuis le point terminus du tramway. Comme le temps était incertain et la course longue nous y renonçâmes.

A la place nous allâmes voir un panorama tout spécial. C’est une sorte de tour circulaire large. On y gravit un escalier à l’intérieur et on arrive sur une plateforme d’où on a tout autour de soi une vue magnifique sur le Vésuve le golfe de Naples et les îles voisines. De la plateforme aux parois sont des groupes de rochers ou des laves apportées du Vésuve et qui forment exactement le relief du sol. Toutes les parois sont peintes et avec tant d’art qu’on ne voit presque pas où commence la peinture et où finit la vraie pierre. Ensuite nous sommes allés voir la célèbre statue de Bismarck nouvellement érigée et qui est d’une grandeur extraordinaire. On la voit de très loin. Puis nous avons parcouru un peu la ville. J’y ai vu une place très curieuse. Elle ne compte exclusivement que des cafés, des théâtres de variété, des tirs et des cinématographes. C’est là surtout qu’a lieu la vie de nuit. Comme j’étais fatigué je suis rentré dans ma chambre après le souper tandis que Guignard allait à l’Union.
Le lendemain devait être consacré aux musées. Comme nous sortions de l’hôtel, le portier nous courut après pour s’informer si nous avions au moins laissé du bagage dans notre chambre. Je le rassurai et nous partîmes voir un musée d’antiquités. Ces sortes de musées renferment invariablement des vieilles armes, des écrits poussiéreux, des meubles vénérables etc. Celui-là était assez curieux, j’y vis entre autres une boîte qui d’après la légende a été faite par le diable. Ce qu’il y a d’assommant dans ces musées c’est que les gardiens se mettent à donner des explications sans qu’on leur en demande et qu’on est forcé de leur donner un petit pourboire. J’ai aussi vu là une chambre d’alchimiste, une droguerie du moyen-âge et de beaux bahuts sculptés. Nous passâmes de là au musée artistique qui comprend au rez-de-chaussée une collection de sculptures et au 1er étage les tableaux. Le bâtiment est bien éclairé, les objets pas trop entassés, de sorte qu’on a du plaisir à tout voir, quoique naturellement les collections ne valent ni celles de Dresden ni celles de Berlin. Nous avions réservé pour l’après-midi le musée d’histoire naturelle et le musée ethnographique réunis en un immense bâtiment près de la gare.

C’est vraiment épatant dans les grandes villes de voir la place et l’argent qu’elles peuvent consacrer à leurs musées. Celui dont je parle se composait en bas d’une immense halle qui allait jusqu’au toit vitré et était entourée de trois étages de galeries. Dans la halle étaient des squelettes de baleines et cachalots et de grands animaux empaillés, éléphants, orang-outang, chimpanzés. Tout autour se trouvaient d’autres animaux plus petits et une très belle collection de pierres. Au premier étage étaient les oiseaux en si grand nombre que je ne croyais jamais en voir la fin. Au second étage des papillons, des insectes de tous les pays et encore des oiseaux. Ce n’est qu’au 3ème étage qu’est l’ethnographie. Nous y avons surtout vu des choses de l’Inde, des idoles, des vêtements, des armes et ustensiles. L’Amérique du Sud, surtout était aussi bien représentée.

La musée ne se fermait qu’à 4 heures et nous sommes restés jusqu’au coup de cloche final. Nous avions encore 1 (h) ½ jusqu’au départ de notre train aussi avons-nous profité de ce temps pour voir encore le centre de Hamburg, son hôtel de ville, style gothique, le monument de Guillaume I et ses églises dont une, qui a brûlé dernièrement, est encore ensevelie sous les décombres. Puis nous partîmes pour Kiel où nous arrivâmes à 8 heures environ.

Je vous parlerai la prochaine fois de Kiel et Bremen où nous ne restâmes qu’un jour en voyant toutefois l’essentiel. C’est dommage qu’à Hamburg nous ayons eu tant de pluie les deux jours. Ce n’est pas fait pour donner une idée favorable d’une ville et on n’a pas l’esprit disposé à admirer comme d’habitude. Le temps nous a heureusement favorisés pour le reste du voyage sauf à Magdeburg. (…)

Recevez tous les bons bons baisers de Pilet qui pense bien à vous.

N.B. Je vous envoie une carte qui représente un tableau de la Galerie de peinture d’ici. Le sujet est « Désagréable devoir de père ». Il est épatant d’expression.