Berlin

L'avenue Unter den Linden à Berlin à la Belle Epoque (tous droits réservés).

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Paul Baillod écrit de Dresde, le 21 août 1906

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Nous sommes partis à 10 h. de Dresden et nous étions grâce à un train rapide à 12h50 à Berlin. Nous allâmes directement à l’Hôtel Holstein que le Baedecker loue comme soigné et bon marché et comme je vous l’ai déjà dit nous eûmes la même chambre qu’avec cher papa, le no 31. Après le dîner nous allâmes voir cousin Jules Borel qui nous reçut très aimablement et jura me reconnaître quoique ne m’ayant pas vu depuis au moins 11 ans. Il me donna quelques conseils très généraux et très vagues dans une forme très verbeuse et qu’il tâchait de rendre très littéraire. Je l’accuse un peu d’aimer à s’entendre parler. Il avait l’air très heureux et très content de lui. Son frère Jean est de retour en Suisse et ne rentrera probablement pas de longtemps en Allemagne. Pour ce qui concerne les pensions, il m’a dit que le mieux était d’attendre au 15 septembre et de voir celles qui sont affichées au tableau noir de l’Université. On en trouve tant qu’on en veut et il ne faut s’engager que pour un mois. Les prix varient entre 100 et 150 marks, lui il me conseille d’y mettre environ 120 marks. Il nous a offert de nous montrer un peu la ville et nous a priés de l’attendre 1 heure environ, jusqu’à ce qu’il ait fini son travail. Il nous a alors montré dans la Leipzigerstrasse un de ces immenses magasins aussi grands que le Louvre ou le Bon Marché à Paris. Pendant près d’une heure nous nous sommes promenés là-dedans à tout admirer, car on y vend absolument de tout, jusqu’à des poissons et des crocodiles d’aquarium. Chaque article est représenté avec une telle richesse qu’il constitue à lui seul un magasin des mieux pourvus.

De là nous sommes allés dans un restaurant car cousin Borel n’avait pas dîné. Pendant qu’il mangeait, il nous a offert une limonade et m’a demandé des détails sur la famille. Il ignorait tout, même notre transport du Locle à La Chaux-de-Fonds. J’espère qu’il aura appris davantage à Couvet où il doit se trouver maintenant. Ensuite nous avons vu la Sieg allée et cousin m’a fait remarquer sur l’écusson qui décore le piédestal de la statue d’un des rois, les chevrons de Neuchâtel. Puis nous avons admiré la colonne de la victoire entourée des statues de Moltke, Roon et Bismarck. Derrière la statue de ce dernier se trouve le bâtiment du Reichstag. De là nous sommes rentrés en ville par la porte de Brandebourg et nous sommes arrivés à « Unter den Linden ». Là cousin Borel qui avait un rendez-vous pour affaire nous a laissés seuls.

Nous sommes alors allés souper au restaurant Linden que Paul avait indiqué à maman, puis nous avons visité le panopsileum qui est très connu et a toujours une collection de phénomènes. Le principal était cette fois une Tyrolienne géante. Nous sommes alors rentrés nous coucher après avoir visité quelques rues brillamment illuminées.

Le lendemain, nous nous promenâmes dans les principales rues jusqu’à dix heures. Nous vîmes ainsi l’Université, l’Opéra, le palais impérial, la Bibliothèque, le monument de Guillaume Ier etc. Puis nous visitâmes en détail le dôme qui est à peu près terminé et magnifique. Les vitraux y sont de toute beauté. Ensuite nous allâmes à la Zeughaus, le grand musée d’armes qui contient des trophées de toutes les époques, des plans de villes fortifiées, des canons de tout âge et de toute grandeur. En haut se trouve la salle de la gloire tout en marbre avec 20 grandes peintures murales représentant les victoires des armées prussiennes pendant les derniers siècles. Le clou en est naturellement le couronnement du roi de Prusse comme empereur allemand à Versailles. A midi nous avons assisté à la garde montante, près de l’Université, qui se fait par toute une compagnie, musique en tête.

L’après-midi nous sommes allés par le chemin de fer de ceinture au jardin zoologique, un des plus beaux de l’Europe, puis à une exposition nationale de peinture, où le portrait dominait de beaucoup les paysages ou autres genres. Le soir, nous sommes allés visiter l’Union [chrétienne] de Berlin qui possède un immense bâtiment dans une des principales rues de la ville. Un ancien unioniste de Dresden nous a fait visiter toute l’installation. La bibliothèque à elle seule compte plus de 8000 volumes. La salle de gymnastique a fait notre admiration. De là à 10 heures nous sommes rentrés à la Friedrichstrasse et Unter den Linden pour voir le Berlin de nuit. Je n’aurais jamais imaginé une pareille circulation. Il était presque impossible de passer et les cafés étaient bondés.

Malheureusement le lendemain, la National Galerie (une collection importante de peintures) était fermée et nous avons visité les autres musées, trois en tout, musées d’antiquités, d’ethnographie et de sculptures. Les salles consacrées à l’Egypte étaient particulièrement riches, passablement plus qu’à Dresden. Quant aux sculptures elles sont partout les mêmes et dans chaque ville nous avons vu les mêmes reproductions des œuvres grecques, romaines et de Michel-Ange.

Berlin m’a fait l’impression de quelque chose de très grand, de très riche, mais de peu de goût et d’originalité. Tout y impose plus qu’il ne charme ou attire.

Nous sommes partis pendant l’après-midi pour Hamburg. Nous avons eu pendant ces deux jours et demi un temps couvert, mais pas de pluie du tout.

Je vous raconterai la suite de notre voyage dans la prochaine lettre, peut-être alors pourrais-je y joindre quelques photographies qui aideront mieux à comprendre le récit. En attendant, je vous envoie une photographie de notre expédition à Hamburg par l’intermédiaire de l’agence Käse. C’est un des employés de cette compagnie qui nous a pris. Guignard qui ne faisait pas attention n’est pas là-dessus. Il était pourtant à mes côtés mais rien ne le laisse supposer.

Il ne me reste, après Dieu, qu’à remercier cher papa pour sa bonté. J’ai sûrement beaucoup appris dans ce voyage, non seulement au point de vue scientifique ou artistique mais aussi à me débrouiller, à avoir du sang-froid, à faire attention. Le fait que je suis rentré sans rhume prouvera à chère maman combien son petit Pilet [Pilet pour « Paulet », c’est-à-dire petit Paul, est le surnom donné à Paul Baillod] a fait attention et a été prudent.

Merci encore à tous pour vos bonnes lettres, j’ai été bien heureux de les lire à Leipzig !
Recevez les meilleurs baisers de votre tout tout affectionné Pilet.