Il ne m’a manqué que de savoir l’anglais…

Retour à l’Exposition, Windsor, Eton et préparatifs de départ

Image : Le collège d'Eton par Turner, vers 1787

[]
Cliquez pour agrandir

Lundi : Nouvelle visite à l’exposition pendant laquelle je me suis arrêté spécialement devant les produits de l’industrie française et de l’industrie suisse. Les premiers ont pour eux l’élégance et le goût, les seconds, à part les tapis à qui on aurait pu épargner les peines du voyage, ont donné une idée avantageuse de ce petit peuple, qu’on croyait assez généralement fort retardé dans la sphère des arts ; on s’accorde à admirer les broderies de l’Appenzell. Ensuite je suis allé voir la collection britannique des tableaux des grands maîtres ; il paraît qu’il faut une étude pour bien juger du prix des tableaux des siècles passés qui d’ailleurs ont souffert pour la plupart, des injures des temps. Ce n’est pas à une première vue qu’on peut se rendre compte de leur supériorité, les seuls qui ont répondu à mon attente sont les paysages de Claude Lorrain. A côté de cette collection, se trouvait une exposition de tableaux modernes faits par des peintres anglais. Plusieurs ont charmé ma vue ; mais il m’a paru qu’aucun n’égalait ceux que j’ai vus chez Mr. Martin, représentant le paradis avant et après la chute. Les poètes inspirent les peintres ; ce que j’ai vu de plus beau en fait de tableaux anglais représente des scènes de Shakespeare et de Milton.

Mardi : Je me suis trompé en parlant de ma seconde visite à l’exposition comme ayant eu lieu le lundi. Je devais la placer aujourd’hui.

Mercredi : Visité l’église de St-Paul et monté à la coupole, d’où l’on voit de tous côtés la vaste ville de Londres se perdre dans les vapeurs.

Jeudi : Windsor et Eton. 2000 visiteurs ce jour-là. Belle chapelle de Windsor. Salle d’audience des Chevaliers de la jarretière, de Waterloo et magnifique tenture des Gobelins représentant l’histoire d’Esther. Vue admirable de la Tour ronde et de la terrasse du château. Eton, sa chapelle, et l’ancien collège, bâtiments qui respirent la plus haute, mais non la plus belle Antiquité. Robes des étudiants reçus gratuitement et logés dans le Collège. Cherté des études en Angleterre ; les deux classes extrêmes jouissent des faveurs du pays ; la classe moyenne n’a pas de privilèges, elle doit tout à elle-même, à sa persévérance, à son travail.

Comme le jour de mon départ approchait, on m’a enfin accordé du repos et permis de faire mes préparatifs. J’ai profité de ce calme pour jouir de ma famille, ce qui était au fond le but principal de mon voyage. C’est avec un véritable plaisir que j’ai vécu au milieu de mes enfants et petits-enfants qui tous donnaient des espérances et qui n’ont pas cessé de m’entourer de témoignages d’affection. La piété étant l’esprit de la maison, l’ordre et le travail en formant les habitudes, je me plais à espérer que la bénédiction divine continuera à y reposer et que l’aisance qui vaut mieux que la richesse, y fera régner le contentement et la paix. Il ne m’a manqué que de savoir l’anglais pour retirer de mon séjour à Londres toute l’utilité et l’agrément qu’il aurait pu me procurer. Je n’y ai vu que des amis et parmi eux que des personnes instruites et capables d’instruire les autres ; c’est une bien bonne société que celle dans laquelle vivent ma fille et son mari. Que ne puis-je être plus longtemps parmi vous et apprendre votre langue ! Mais le temps a trop enchaîné mes lèvres pour qu’elles puissent se plier au gazouillement des vôtres. D’ailleurs, il faut partir. Adieu, donc ma chère Marie, toi qui n’as appartenu à deux nations que pour prendre du bon chez l’une et chez l’autre ! Adieu, mon cher Henri, vous que la réalité dans laquelle vous vivez, n’empêche pas de former des projets plus jeunes que votre âge et qui cependant, si la Providence entend nos vœux pourront encore s’accomplir ! Adieu, mon cher Freddy, mon troisième fils, si plein de bonne volonté ! Puissent tes forces en s’augmentant avec l’âge seconder tes bonnes résolutions ! Adieu, mon petit Henri, au coup d’œil observateur, à la mémoire forte, au jugement prompt ! Cultive les dons que le Ciel t’a faits, et la moisson que tu recueilleras pourra un jour te réjouir. Adieu Georges et John, plantes naissantes auxquelles de loin, j’envoie l’haleine des zéphirs les plus propices ! Je vous quitte à regret et j’espère encore vous revoir !