Le retour - En pleine mer

Le retour ! Mercredi 2 août

Il est 15 heures. Père sur sa chaise-longue dort à ma gauche. Je me réveille et ai à ma droite un gentil couple que je suppose juifs. Il y en a beaucoup à New-York et le bateau en a son compte.

Un jeune mousse polit avec grande minutie les laitons, empoignes des fenêtres. Il a un pantalon des bas et des souliers du plus beau blanc ainsi que son béret, la blouse marine avec large col galonné de blanc.

La mer est d’un bleu superbe et tranquille comme le beau Léman. Un trépidement des machines se fait sentir continuellement. Nous avons bien lunché. Avant de descendre à la salle pendant que père perdait 1 heure aux inscriptions inhérentes au bateau, on y faisait queue, les Américains à toute occasion agissent ainsi pour les trams, les bus…, etc.

Ce 2 août à 7 ¼ nous déjeunions, tous en toilette déjà. (…) A 8 heures nous partions, avons roulé plus d’une heure pour arriver au port, en passant à notre droite, nous avons revu l’exposition ce grand dôme qu’on voit sur tous les bibelots nouveaux.

Puis insensiblement se dessina (sic) les buildings de New-York si hauts et majestueux et si nombreux. L’affluence des autos, les ponts superbes immenses un peu partout ; ils sont nécessaires pour l’énorme circulation et sur 3 ou 4 lignes de front, et quelle ville propre, je n’en connais pas de pareille pour la propreté immaculée, aussi des milliers d’hommes sont occupés à cela et le font intelligemment et sans bruit. (…)

Il y avait des foules d’accompagnateurs. Ce n’est qu’avec grand peine que seulement quand Normandie se mit en marche qu’au milieu, nous avons aperçu Arlette grâce à son drapeau suisse, nous n’avons reconnu qu’elle seule…

Il est 4 heures les jeunes marins passent avec biscuits et thé sucré. Noldy m’a dit : prends quand on passe il faut toujours avoir quelque chose dans l’estomac non digéré ; c’est ainsi que j’ai toujours fait et n’ai jamais eu le mal de mer ; mange moins aux repas. Tout va bien ; nous avons passé le Golfstream ; il fait moins chaud.

Nous sommes près des sables de Terre-neuve. Les horloges du bateau sont réglées de façon à ce qu’elles avancent de 5 minutes toutes les 2 heures soit 1 heure par jour, aussi les montres sont inutiles. Nous préférions le système de l’Ile de France : à minuit 1 heure changeait.

On vient d’apporter le bouillon de onze heures, avec biscuit sec, blanc.

Nous avons souvent la visite de Mr Poulin, Français établi au Texas ; il a tant de bon sens que je lui ai dit qu’il peut venir puisqu’il est seul ; il va voir ses parents en Normandie. Au Texas on l’appelle Franchi et G. Albert nous a dit que c’est Franchi aussi qu’on l’appelle.

J’ai demandé un livre anglais mais la mer m’attire et j’en fais une aquarelle ratée.

Pourquoi n’ai-je pas pris ma boîte de couleurs ? seulement quelques pauvres couleurs et 2 pinceaux. Ce matin j’ai vu 2 superbes bébés israélites. Le père m’a dit vous voulez peindre ? Et je me suis lancée à essayer ; il y a une petite ressemblance… ce qui me fait plaisir autant qu’à papa.

Le roulis est singulier, de ma chaise-longue par moments je vois la mer bleue 7 ou 8 mètres puis je ne la vois plus du tout pendant un moment ; le ciel est nuageux. Bientôt 4 heures. Père somnole souvent, hier déjà mais à part cela se sent bien.

Le navire démarre, descend majestueusement ; c’est la pleine mer.

Laissons-nous vivre / Qu’il fait bon voyager… / Nous voguons sur du velours liquide / On se fatigue à considérer l’infini… / Ciel et mer… mais vers le soir / Cela devient palpitant et tragique / Le rouge sang les jaunes d’ocre envahissent / Le couchant. Quelle sérénité mélancolique.