Une mer mouvementée

Nous sommes contents de notre 1707 aussi confortable et grande que celle de 1ère classe « Ile de France » seule une horloge manque.

Elle est d’un gris propre brillant satiné et les meubles chêne poli jaunâtres 5 lampes électriques, lavabo superbe avec 4 verres suspendus et 2 carafes le tout en beau cristal, 1 armoire à glace à 5 corps. Un tapis moquette recouvre le tout le plancher, 1 après le lit des couchettes assorties à la portière lits chauds très confortables, en beau métal carré poli et avec 2 bras de fauteuil comme sûreté.

(Pour exprimer sa) « Reconnaissance au commissaire si bienveillant ! (Marie-Caroline Bourquin-Jaccard lui dédie) Un souvenir de grand-maman. »

French Line, à bord, le 7 juillet 1939

Faut-il vraiment quitter l’Europe / Pour qu’enfin je me développe / Que j’admire l’Océan bleu / Et les nuages et les lieux ?

Faut-il que le soleil brille / Que le grand Océan scintille / Que le givre dans les flots bleus / S’élance et plane de lieux en lieu ?

Faut-il quitter ma montagne / Et mes enfants à toujours / Pour saisir, pays de Cocagne / Mes sympathies et mes amours ?

O cher bateau de Normandie / Pour toi ma douce mélodie / Plus beau, plus cher de jour en jour / Je penserai à toi toujours !

La nuit du 7 nous étions bercés de droite à gauche ; celle du 8 un tremblement électrique nous secouait dans nos couchettes aussi à la salle tous les couverts étaient entourés à cause du roulis qu’on craignait.

Jeudi la mer très mouvementée a éprouvé grand nombre de passagers. L’après-midi père faisait des petites promenades significatives aux petites loges puis revenait s’étendre. Il y avait du cinéma Katia la mort du premier tsar et ses amours deux fois suis sortie en hâte et y retournai. Ainsi père a vidé à fond son sac par le bas et moi par le haut.

J’ai pris alors une pilule… ce fut pire encore comme souffrance je rendais de l’eau.

Alors j’ai entendu de la musique au salon et c’est là que je me suis tout à fait remise. Un potage aux grus, ½ pigeon et des pommes purée en petites doses nous ont réconfortés à peu près. La plupart des tables étaient vides. Notre servant est plein de cœur et a du nègre dans la voix le nez et le regard. Il m’a dit : « Madame, nous sommes ici à votre service, demandez-nous ce que vous désirez, nous voulons vous faire plaisir. » C’était tout plein gentil.

Vendredi fut assez calme sous tous rapports ; nous faisions connaissance, moi surtout. Chaque matin nous avons des surprises dans notre chambre des journaux intéressants nous initiant aux faits et gestes de la journée.

Nous avons reçu hier la liste des passagers. Récapitulation classe cabine 260 / classe touriste 513 / troisième classe 332 / total 1105 / et 1000 employés paraît-il.

Samedi à 10 ½ h. nous avons par groupes visité le bateau le confort est très bon en 3e mais un mélimélo de gens avec des passagers très bien. Nous sommes heureux de notre classe touriste très honnête et morale des petites familles, des groupes de jeunes filles, des étudiants, 5 sœurs blanches, etc.

J’ai passé une partie de l’après-midi dans la chambre de jeux avec 4 à 12 enfants, dont plusieurs petits juifs allemands dont le langage très distingué m’a frappée ; bruyants sans doute mais j’en ai retenus 3 auxquels j’ai fait dessiner des images. Pendant ce temps père a dormi continuellement puis ensemble nous avons été au cinéma anglais. Comme à l’autre ciné chacun en sortait en pleurant.

 

Grande affiche repas de gala, loterie en faveur des marins suivie de danse. Nous y fûmes jusqu’à onze heures.