Une nouvelle maison

Les contrastes d'une vie dans le Nouveau Monde avec la vie dans une patrie qu'on n'oublie pas

[]
Cliquez pour agrandir

27 décembre 1922 (Jean)

Bien chère maman,

Un grand merci pour ta bonne lettre du 29 novembre à laquelle nous n’avons pas encore répondu et celle du 7 décembre reçue le jour de Noël (…). Ayant interrompu ma missive pour me rendre chez le charpentier, constructeur de notre maison, je trouve à mon retour ton paquet d’excellent chocolat (arrivé non cassé) et les deux premiers numéros de « La Patrie Suisse ». Merci pour tout, ma bien chère maman, tu nous as gâtés et ton idée de nous abonner à la « Patrie Suisse » était vraiment géniale ! Rien ne pouvait mieux nous rappeler le pays et en même temps nous permettre de faire connaître la Suisse à nos voisins qui avant notre arrivée savaient à peine que ce pays existait.

Nous avons passé un Noël bien tranquille, les trois ménages suisses se sont réunis la veille autour d’un petit pin, chez M. Bücher. Des chants de Noël exécutés à la perfection par nos trois dames ont donné à cette petite fête le vrai cachet d’intimité qui lui est habituel. (…) – Certes, nous avons bien regretté votre présence, au moment où nous étions autour de l’arbre, vous étiez déjà couchés, vous aviez déjà pensé à nous et pendant votre rêve vous avez dû voir nos formes astrales vous apportant notre grande affection. Une chose que nous n’avons pas regretté, par exemple, c’est le froid et la neige. Il faisait bien un peu froid le soir, mais la journée était idéalement douce, si bien que le lendemain, nous avons pique-niqué sur notre terrain.

Dans quelques jours notre maison verra le jour et nous espérons bien dans trois semaines pouvoir l’habiter. Ces jours-ci je pose les piquets environnants notre terrain, et d’être propriétaire cela m’amuse et même me fait plaisir. Cela me donne une grande sécurité pour l’avenir, car même si un accident m’empêchait de travailler pendant plusieurs années, il serait très simple d’engager un ou deux ouvriers pour préparer les récoltes et une fois tous les frais payés il resterait bien assez pour vivre tranquillement. Voilà certes une sécurité qu’aucune industrie, ni aucune vocation libérale ne peut donner et j’estime qu’elle est extrêmement importante. (…)

Il y a encore bien des questions à répondre à vos deux lettres, je laisse la place à Yvonne. (…) Je ne crois pas pouvoir continuer à écrire si régulièrement, maintenant que les récoltes commencent, et puis vous n’êtes plus si inquiets de notre sort et vous pourrez bien attendre quelques jours de plus !


(Yvonne)

(…) Un grand merci à notre chère maman pour ses bonnes longues lettres si régulières et si pleines d’affection. Comme il fait bon être en exil et recevoir chaque semaine les nouvelles toujours impatiemment attendues. – Nous sommes comme nos poules, qui quand nous ouvrons le portail conduisant à leur appartement, nous entourent et croient à toute heure du jour le moment venu de manger leur maïs ! Nous courrons sur la route à 1h. quand nous entendons l’automobile du facteur. – Car quoiqu’à 10 km de la ville, nous avons journellement un courrier. Notre facteur fait sa tournée dans une belle Ford de 4 places, arrête sa machine près de notre maison, au bord de la route où, selon la coutume du pays, nous avons placé une boîte en tôle au bout d’un bâton. (…)

Merci aussi ma chère maman pour le beau paquet de chocolat suisse. Cela m’a toute réjouie que de retrouver le bon goût de notre chocolat. Car il n’y a pas à dire, l’Amérique ne peut encore rivaliser avec les maisons Villars, Suchard ou Klaus ! Votre publication « La Patrie Suisse » a fait un plaisir sensible à vos deux Américains ! Il fera bon, dans ce pays si plat, contempler les montagnes et cimes neigeuses que ces petites brochures reproduisent si fidèlement. (…)

(…) J’apprends à tuer ma personnalité, mais c’est effroyable ce qu’elle est vigousse ! Malgré tout, je suis heureuse des expériences que je fais ; tout ce qui arrive est très bien, n’est-ce pas ma chère maman, puisque c’est pour nous faire évoluer ! (…)

Nous avons du bon beurre, mais salé, à 2 fr. 60 la livre anglaise. Du lait frais peu, mais du beau et du bon lait condensé ! – Mes poules font régulièrement des œufs, quoique ces jours elles chôment un peu à cause de la mue. – Nos fraises poussent, il y en a déjà quelques-unes qui ont de belles couleurs rouges, mais relativement peu. Nous avons aussi des salades, des laitues, des oignons, des tomates et herbettes. Malheureusement pas de poireaux et d’aulx ; ces deux derniers sont totalement inconnus ici. – Nous mettons dans la terre une espèce d’engrais chimique qui donne à la terre ce qui lui manquerait en phosphate, en chaux, amidon, etc., etc. Nous le mettons 5 à 6 jours avant de planter pour qu’il se mélange bien à la terre. (…)

Maintenant, je pense que vous êtes chez grand-maman aux Tourelles ? Comme tout cela paraît lointain ! Il me semble être depuis longtemps déjà en Floride. – Aujourd’hui il pleut ; de grosses gouttes tombent flots sur nos petits pois et fraises, tant mieux, cela fait du bien, je pense que vous avez une tempête de neige par là-haut…