La vie au grand air

Un couple qui semble heureux de partager son quotidien de paysans

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18 février 1923 (Jean)

Ma bien chère maman,

Un nouveau dimanche, il est 8 h. du soir et nous n’avons pas encore trouvé le temps de faire notre correspondance. Il faut te dire que notre journée s’est passée à couvrir nos pousses de concombres avec les petits nids de mousse dont nous t’avons déjà causé. Depuis 3 jours, les nuits sont froides environ 5 degrés au-dessus de zéro et le thermomètre fait supposer que cette nuit-ci sera plus fraîche encore ; si la température descend jusqu’à zéro ou même + 2 degrés, nos pousses gèleront, aussi avons-nous préféré passer notre dimanche à les recouvrir plutôt que de nous reposer. (…)

Nous sommes en effet bien heureux dans notre petite maison, loin de tout voisinage (…). Yvonnette donne tout son temps aux concombres, ce qui me permet de m’occuper du reste du terrain et de terminer le défrichage. C’est une bien bonne petite femme qui travaille ferme et économise ainsi un ouvrier. Je voudrais bien qu'elle se repose, mais elle ne veut pas et d’un autre côté son travail est bien utile car comme dans tout, les débuts sont durs et nous ne ménageons pas notre temps. Malgré ces semaines laborieuses nous continuons à beaucoup nous plaire, à travailler ensemble aux champs, à jouir de cette belle et riche nature, puis de nous retrouver dans notre petit nid, tout simple mais à nous. – Nous nous éclairons au pétrole, procédé peu coûteux, et remettons à beaucoup plus tard l’installation de l’électricité. Cette dernière ne nous manque d’ailleurs pas du tout, car nous ne veillons pas, nous couchant peu après le souper entre 7 ½ h. et 9 h.


(Yvonne)

Ma bien chère maman,

(…) Comme mon petit Jean vous l’écrit, aujourd’hui nous avons couvert nos concombres (…) cette nuit quand nous sentirons le froid s’étendre autour de nous, nous serons tranquilles en pensant à la douce couverture de nos petites pousses. – Je crois que je vais être obligée de faire un petit capuchon au nez de mon Sapi ; le chaud a je pense encore développé son petit organe respiratoire ; et maintenant le froid le fait horriblement souffrir et le colore d’une façon bien peu esthétique. La nuit Jeannot enfouit son bijou de nez dans mon cou, mais pas moyen de le réchauffer, il dépasse trop. Ma chère maman avez-vous encore un peu de ficelle de Bâle, ou de moutarde, je lui en ferais des cataplasmes !! – Vous voyez, ma chère maman, que cette vie au grand air ne m’a pas encore purifiée, j’ai toujours en moi un peu de venin qui sort dès qu’il le peut ! Soyez tranquille, maman, nous nous aimons toujours plus, les deux Jean, et ma gaîté s’accroît de jour en jour et se communique au petit têtard. (…) Si vous pouviez voir votre fils colon, maman, comme il vous ferait plaisir. Il devient fort, travaille ferme, se salit beaucoup et mange encore plus !