La vie matérielle de deux immigrés en Floride

Une vision positive de la nouvelle patrie de Jean et Yvonne Baillod

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14 novembre 1922 (Yvonne Baillod)

(…) Vraiment, ma chère maman, vous êtes 3 fois trop bonne de vous donner la peine de copier nos lettres ; il est vrai que quand nous serons vieux et nos cheveux blanchiront (s’il nous en reste), nous serons heureux de revoir sur papier nos impressions de 20 ans, de relire les expériences que l’avenir nous réserve… (…)
Et puis, cela va me forcer à faire des lettres intéressantes (y arriverai-je ?), et aussi à raccourcir mes lettres par pitié pour vous ; et moi qui aime tant papoter ?!! (…) Quand je pense à vous et que je vous vois tout emmitouflée des pieds à la tête, je trouve mon costume (si on peut appeler une chemise-combinaison et une paire de souliers, pas de bas, un costume !), de beaucoup plus agréable que ce que vous pourriez porter de mieux par chez nous ! – Ma pauvre petite maman, je vais vous faire envie ! Pour compenser, je vous dirai qu’ici la vie de « la fermière » est plus pénible que celle de la bourgeoise. Pas d’électricité, fourneau à bois, eau à la pompe, récurages et lessives ! Comme vous le savez, nous sommes à une heure d’automobile de Wauchula, et je fais régulièrement deux belles promenades par semaine pour faire mes commissions.

Vraiment nous sommes étonnés Jean et moi, de trouver tant de sympathie et presque d’affection chez ces Floridiens. (…) Nos voisins (…) nous ont invités pour aller dimanche passé à l’église ! Nous y sommes allés, Jean et moi, et avons été reçus par quantité de mains amies et au bout de 5 minutes, temps nécessaire aux présentations, nous nous trouvions presque comme dans une grande famille ! Quant au sermon et aux chants, nous n’y avons pas compris grand-chose (…). Il n’y avait pas moins de 5 à 6 croyances différentes dans une foule de 30 à 40 personnes. Catholiques, protestants, méthodistes, presbytériens, sabbatistes, etc., tous réunis dans la même église pour s’adresser au travers de formes différentes au même Père. Cette largeur d’idées nous a plu et nous y retournons quelquefois.

Mais revenons aux choses matérielles de ce petit monde ; j’ai plaisir de vous dire, maman, que après un mois d’existence dans ce pays, je constate que la vie est moins chère que chez nous ; il nous faut en moyenne par semaine pour le ménage de vos deux petiots fr. 40.- ! Il est vrai que nous n’avons pas de gaz à payer ; le bois de pins est abondant dans cette contrée, et notre potager souffle gaiement en nous envoyant un bon et sain parfum de résine. Les habits et les souliers sont au-dessous d’une grande partie des prix de « chez nous ». Jean porte aux champs une chemise kaki, de 1 dollar, et le pantalon de la même couleur pour 1 à 1.25 dollar. Vous voyez, ma chère maman, c’est bien loin des prix annoncés en Suisse. Par contre, ce qui est réjouissant pour nous, les légumes frais se vendent extrêmement chers, une tête de salade vaut actuellement 20 cents, c’est-à-dire 1 f. suisse. (…) Vous allez trouver drôle que nous vivions à si bon compte ! C’est que pour le moment, nous ne vivons presque que de conserves ! C’est en effet impossible à croire, dans un pays où tout pousse si facilement, pas ? Les gens d’ici vendent en grande partie leurs produits du sol dans les grandes villes où l’hiver sévit et en retirent gros ! (…)

Mais je crois qu’en voilà assez pour aujourd’hui ; merci encore beaucoup pour votre bonne longue lettre ; dites bien des choses pour nous à ceux qui demandent de nos nouvelles, et pour vous, ma chère maman, nos meilleurs et gros baisers.