1940-1941 : bon été et bel hiver, mais "quand sera-ce la fin de ce cauchemar, cette horrible guerre..." ?

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20 mars 1941 jour du printemps

Ma bien chère Angèle et famille


Eh bien non ! Je n’aurais pas le courage de te faire cet affront, ne pas te répondre. Parce que je savais qu’une bonne et longue missive m’arriverait un de ces jours, et avec tout, que je sais le temps que mes lettres mettent. Ta si chère lettre a mis exact 2 mois.
(…)
Quand sera-ce la fin de ce cauchemar, cette horrible guerre, Dieu seul le sait. Le soleil luit en ce moment, il faudrait bien qu’il luise pour tout le monde et ramène la joie dans les cœurs de tous les malheureux.
Voilà l’hiver au Canada a été bien beau pas trop froid part quelques jours, par exemple ce mois de mars est assez bizarre, il y a eu une grande tempête depuis les Etats laquelle a fait des victimes. Figure-toi froid comme en Sibérie et un vent 75 miles à l’heure, il faisait mieux être au chaud. Mais le froid n’a pas duré.
Je suis heureuse que vos santés sont bonnes, et Dieu merci ; car vous deux là-haut, cela ne doit pas être bien gai parfois. Ici chez nous, nous avons été éprouvés par la maladie il a fallu avoir recours au Docteur 2 fois, 60 f. chaque visite mais cela n’est rien quand tout remarche d’aplomb.
Voilà notre Charli a donc été appelé le 22 novembre 1940 pour faire un mois de service militaire, et alors comme une épidémie de rougeole traînait là-bas et en place de garder ces jeunes les ont tout simplement laissés revenir et dans une fièvre que il a dû se mettre au lit aussi vite il a eu la rougeole pour Noël, donc pas de Noël nous étions en quarantaine. (…) Mon mari a été peu bien, toujours une grande fatigue a encore dû aller travailler pour 2 semaines ensuite aidera Charli à nettoyer le grain pour semer. Je te dirai que nous ne pouvons plus vendre notre blé que, une petite quantité et tu vois pas cher que ceux qui vivent de ça ne sont pas à la noce il s’agit d’avoir ferme mixte, animaux sont à un bon prix. Les fermiers ne savent quoi faire, même qu’on ne pourra peut-être pas semer de blé, juste soigner le terrain pour plus tard c’est assez compliqué quoi. Le beurre, la crème, œufs pas un bien gros prix les œufs de 40 cts la douzaine à 60 cts. Le beurre 1f.25 la livre. La farine tout dépend la quantité depuis 15f. les 30 kg. Et voilà, on a toujours son pain blanc dans un pays à blé ça n’est pas étonnant ?
L’été a été bon 1940 les récoltes, jardins extra, nous avons eu assez pour passer un bon hiver, nous mettons les œufs en conserve dans une eau glacée et ils se gardent d’une année à l’autre nous avions eu des tomates en masse, et de tout quoi ce qu’on a eu de trop l’avons donné à ceux qui n’en avaient pas. Il y a eu beaucoup et il se fait encore du travail pour la Croix-Rouge, nous avons tricoté des chaussettes et bas pour nos soldats, d’autres font des couvertes, cela prend beaucoup de choses utiles et chaudes, il y a toujours de quoi à s’occuper, pas beaucoup de temps à s’ennuyer hein toi cousine.
Les tantes sont au Colorado vivent les trois ensemble, dans la maison que tante Adèle leur a laissée, maintenant la dernière lettre de tante Rose m’écrit qu’elle est avec oncle Adolphe lequel a dû subir une grave opération (…). Je t’enverrais bien sa lettre mais c’est en anglais, moi qui comprends que tout juste alors je te vois toi oui entre les deux on ferait un beau couple de professeurs ah ! ah ! (…)
(…) Violette a été 3 semaines elle a eu une occasion son voyage payé, étant fille d’honneur pour un ami, te dire le plaisir qu’elle a eu, elle qui est pleine de joie, est aimée de chacun même qu’elle a fait connaissance avec une famille de nègres et ne peut assez dire quel bon monde. Elle a trouvé Loulou bien vieilli et plus si gai, Cécile est bien mariée, Marie-Rose toujours à la même place. Louis fils horloger un si gentil garçon, leur dernière une gamine de 14 si gâtée n’est pas facile paraît-il. Leur Jean est marié aussi et c’est ce qui a tant peiné Loulou, il s’est marié sans le dire à ses parents (…). Leur Georges toujours à Toronto pense venir nous voir ce printemps. L’on se réjouit de penser à se revoir.
Il faut que je te dise qu’on a acheté une auto, les jeunes travaillent assez et à notre âge, qu’on puisse jouir un peu de la vie. Nous sommes si loin de tout. Que cela ne s’appelle pas du luxe, mais une grande utilité.
(…)
Pendant que j’y pense, il me reste 3 dents en haut et un grand espace entre tu vois si j’embellis au printemps vais les faire enlever ne rigole pas tu sais, les cheveux pas mal gris qui tournent au blanc bientôt 50 ans ah ! ah ! bientôt vieillard ?
Parlons de fournaise, tu sais celle qu’Edmond a faite nous brûlons que du bois, et je t’assure que c’est bien confortable, on achète jamais de charbon, le bois nous le coupons sur notre ferme le long du lac. Mais avec les années de sécheresse ça en a beaucoup anéantis dans quelques années le bois sera rare, il faudra un peu se retenir de trop bourrer le fourneau. Cela doit sembler au monde pas mal drôle de se servir des vieux fourneaux. Sais-tu que les gens en ville sont trop gâtés tout si facile, en campagne c’est plus difficile de se gâter. Et encore les gens de ville pensent que les fermiers sont rentiers mais on en endure plus qu’eux.
(…)
Pour le radio, je suis de ton avis quelquefois c’est pas mal emm… ? L’été nous ne le faisons pas aller, il fait si beau profiter du beau temps du retour des oiseaux, jouir du bon air et de jolies fleurs. On reste assez dedans l’hiver. Hier j’ai vu un corbeau cela doit bien annoncer le printemps.
(…)
A la garde de Dieu est-ce qu’on se reverra avec ses frères et vous et plus j’y pense, plus je regrette de n’être jamais montée à Pouillerel et allée vous visiter et passer quelques jours avec vous. On a assez eu ri dans cette cuisine des Maillard. Les années filent, filent.
(…) J’ai dû quitter d’écrire, j’ai eu la visite de ma voisine une vieille dame de Belgique, à 70 ans elle vient à pied à travers le lac, nous avons pu causer de nos patries elle a le cœur gros plus une nouvelle ne sait où est-ce que ses sœurs sont et combien d’autres dans le même cas, oui on peut bien avoir le cœur gros avec toutes ces horreurs.
(…)
Je vais envoyer ta chère lettre à Loulou il me demande toujours si je reçois des nouvelles de Suisse, elle va faire le tour du monde. Tu vois. Ecris toujours mieux vaut tard que jamais.
Je mets des lunettes aussi pour écrire, lire et coudre tu vois ah ! ah ! Je voudrais bien voir arriver ta cousine de Californie, peut-être cet été. Alors on pourra te blaguer dessus ! Ah ! ah ! Si tes oreilles te bourdonnent trop fort tu sauras le pourquoi. Notre maison est assez grande pour recevoir les visites.
(…)
Nous allons faire boucherie bien vite, car une fois occupée aux semailles c’est trop tard.
Si tu vois encore Henri tu le salueras bien. Hein ma chère encore merci de ta bonne lettre. Adieu et à l’année 1942.


Ta cousine affectionnée Berthe.