Une année riche en émotions

L'intégralité de la lettre de Berthe est reproduite ici.

Ci-contre une image de la rue principale de Whitewood en 1913. Tous droits réservés.

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Beynes, 8 janvier 1939


A ma chère Angèle et toute la famille


Voilà la Canadienne en personne. Je ne sais pas comment m’exprimer, pour venir te dire un grand merci de ta si chère et bonne lettre, qui a été la bienvenue pour tous, elle est arrivée 2 jours après Noël.
J’étais sûre de recevoir une lettre de toi, aussi, c’est le pourquoi. J’ai attendu de venir te souhaiter ainsi qu’à toute ta chère famille nos bons souhaits. Pour une Bonne Heureuse Année remplie de santé et contentement n’est-ce pas mes chers, pourquoi t’en vouloir de ton silence Oh. Non, je te vois en pensée autour de ta cuisine, partir voir tes chères filles, que tu es bien pardonnée, le plaisir est plus grand après une année d’attente. Tes nouvelles sont si intéressantes que l’on peut juger du changement en Suisse. Et tu as aussi ton travail que le soir, il fait bon aller au lit ? Je suis si heureuse de vous lire tous en bonne santé belle chose ici-bas ; ici tous allons bien.
Je suis allée la semaine passée chez ma belle-sœur chaque année je le fais, cela me repose car ici au bord du Lac, il ne se passe pas un soir sans que nous veillions. Cela me fatigue.
Je crois te l’avoir écrit qu’ici tout se passe autrement. Nous n’avons pas de lait à conduire. Ici dans l’Ouest canadien ce sont les immenses récoltes alors durant l’été, il ne faut pas mettre 2 pieds dans le même soulier ?? Nous pouvons dormir le matin jusqu’à 8 ou 9 h[eure]s. Les 2 jeunes se lèvent les premiers allument les feux et une à la cuisine – Violette et Charli à l’étable. Quelle belle vie, tu vas dire. Mais oui ! Quand on sait la prendre on est au paradis ici. Malgré la misère qui règne encore ?
Tu ne peux te faire idée quel prix nous avons pour nos produits que cela devient écœurant, révoltant, quoi dire ! Quoi faire accepter et attendre les événements du jour. Travailler comme des fous, par de ces chaleurs torrides en été. Et les gros bonnets roulent en autos presque rire de voir les fermiers tant turbiner. Le blé ne vaut que 60 ct ce qui fait 3 f les 100 lb [livres]. Les œufs en ce moment 1 f 25 la d[ou]z[aine], le beurre 90 cts la lb [livre] et plus petite que le poids suisse. Les animaux 20 ct à 25 la l. poids vif. Tu vois que ici comme chez vous le fermier n’a rien.
Maintenant assez parlé de la ferme. Cet hiver ne me bile pas. Je crochète. Brode. Tricote et joue aux cartes.
Noël nous l’avons passé chez ma belle-sœur une tempête de tous les diables, heureusement pas froid et pas loin à aller, je te promets que jamais je n’oublie les belles Fêtes de Noël passées à la chère maison des Replattes. Aussi j’ai toujours un moment où le jour de Noël j’aimerais pleurer, pleurer seule. Vois-tu Angèle. Quel souvenir. Ceux-là ne s’oublient jamais non ? et non ?
Nouvel-An a été très gai. Nous avons réuni quelques voisins fait un souper pour une trentaine après ça. Rouler le linoléum et youp. Danser accordéon piano 2 violons et guitare, boire un petit coup de vin, que je fais chaque année. Et à 4 h[eure]s du matin tous partis le cœur content. C’est la plus belle surprise et cadeau que j’ai fait à nos enfants. Ils sont si gentils ces 2 Violette et Charli. Charli tout le portrait de notre cher aimé Georges. Notre petit Jean va lui ressembler. Il a eu 9 ans le soir du 1er et 2 janvier un gâtion de tous ; il a dansé avec une petite du même âge. Deux marionnettes, et si tu penses à 3 h[eure]s du matin on l’a fait arrêter. Arrive à la cuisine et pleure. Qu’est-ce que tu as Jean. Allez parle, alors il nous sort et bin je ne peux plus danser tu parles de gamin. On a ri tous. Tu peux penser. Et voilà. Qu’est-ce que tu en penses et tes jeunes. S’ils étaient plus proches on en ferait une danse va. ? Comme cela sera beau en famille oh beau. Hein Angèle. Mais hélas et cette distance…
Nous avons eu à part quelques jours bien froids, un hiver magnifique. Idéal mais février arrive et alors on repaie tout le beau.
8 h[eure]s. Je suis bien tranquille. Mon mari est allé voir et jouer aux cartes chez nos bons vieux voisins. Les jeunes sont partis avec d’autres faire une surprise chez un voisin avec musique et le manger pour réveillonner à minuit coutume du pays. Gâteau. Biscuit etc. … pas à boire par exemple ici l’Anglais ne tolère pas la boisson mais nos petites soirées se passent entre Français c’est un mélange par le Canada. Les Anglais il se trouve quelques familles correctes. Les Suédois sont comme nous aiment la joie.
Mon mari m’a fait une fournaise à la cave et je te promets que cela est bien confortable toujours les pieds bon chauds, plus de fourneau qui prend toute la place dans notre chambre à manger on peut au moins bouger. Tu sais ce n’est rien comme en Europe les bâtisses. Il te faudra venir voir hein, plus tard j’aurai des photos à t’envoyer. Il me faut en faire faire mes plantes de maisons ne gèlent pas. J’aime ça les fleurs cela est si gai. Surtout que je ne sors pas beaucoup, mardi soir une bande revient jouer aux cartes alors adieu les écritures
Je ne t’ai pas dit que je suis un peu devenue garde-malade. Je vais te dire cela.
Au mois de juin l’année dernière des amis à Whitewood. C’est-à-dire amis sans être amis, mais ces gens avaient eu habité pas loin d’ici. Et ensuite sont allés au village de Whitewood. La Dame avait 2 enfants. A eu 2 jumelles ensuite une née bien et l’autre morte venue trop vite, s’était fait mal en tirant de l’eau des pauvres diables tu sais. Lui creuseur de puits toujours loin, bon, au printemps dernier se retrouve en position et naturellement manque de beaucoup de fortifiant est devenue malade, si malade. Pas même de l’argent pour aller voir le Docteur et trop fière pour aller quand même que cela a empiré il a fallu la conduire à l’hôpital. Y est restée 3 semaines et l’enfant était mort de 2 mois. Trop tard, tu vois la suite que un jour son mari téléphone si j’irais rester vers sa femme que plus moyen de la tenir à l’hôpital quoi faire dire oui, Violette avait eu mal à un doigt une grosseur lui avait poussé que le Docteur avait dû lui opérer. Ça se trouvait juste au moment-là. Alors je suis quand même partie, car Violette pouvait refaire le ménage. J’avais fait la lessive avant de partir. Et par une pluie que les autos allaient doucement et glissaient cela a pris 3 h[eure]s pour arriver là-bas. Tu parles de route. Enfin je suis arrivée quand même. Tu aurais dû voir cette femme dans quel état. Oh. Seigneur est-ce possible quand j’y pense… Il fallait s’occuper de la malade, du ménage et j’ai passé 3 jours, 3 nuits sans me déshabiller et rendue au bout, qu’une amie étant venue me voir a téléphoné chez moi, que je n’en pouvais plus alors mon mari et ma belle-sœur sont arrivés le 4ème jour et tu peux penser que de me voir et de voir cette femme que ma belle-sœur est restée avec moi. Eh bien, après 2 semaines. Sans se coucher. Cette Dame est morte dans des souffrances épouvantables. Une affaire pareille ne souhaite plus d’y repasser. Voilà il faut se dévouer ma chère et c’étaient des Allemands lui un enragé tout pour Hitler si on avait abandonné sa femme, comme ils font aux Juifs je me demande ce qu’il en aurait pensé. Enfin, je t’assure que cela nous a bien pris un mois pour nous remettre de cette passée. L’été a passé sans autre. Au mois de septembre les conserves de tomates, haricots sont arrivées et Violette s’était engagée pour cuisinière. Cuire pour 30-40 hommes avec une autre Dame à 5 minutes d’ici. Le gouvernement a fait construire un barrage au bout de notre lac pour conserver le lac à 8-10 pieds d’eau avec ces grandes sécheresses cela le baissait de trop même risquer de le sécher. Cela a duré 1 mois ½. Violette aimait ça et elle a beaucoup appris dans la cuisine. Charli lui y a travaillé avec 4 chevaux. Alors il fallait se dénicher au matin à 4 h[eure]s debout. Etre à son travail pour 6 h ½. On se trouvait bien de se lever de bonne heure.
Ensuite nous avons eu des chasseurs des Américains qui venaient du va et vient continuel ici notre maison. Ils l’appellent la maison du Bon Dieu car on reçoit tout le monde pas de différence ah ! ah ! tu vas rire hein. Je te dis que mon fourneau de cuisine en a déjà fait des repas à toute heure. Le Canada quoi…
Bon, au mois d’octobre une voisine était bien malade une que nous avions passé tant de veillées ensemble, l’été venait nous voir, tant rigoler. La voilà clouée au lit 5 mois. Nous on pensait oh ! bien ça va passer non elle a dû aller à l’hôpital 10 jours. Revenir chez elle, retourner etc. Elle avait bel et bien le cancer du goitre tu parles de douleur, angoisse un jour vais à pied la voir et ma fi. Je suis restée 2 semaines et elle est morte aussi le 5 novembre une grosse personne qu’à la fin il nous fallait être 4 pour la retourner remuer dans son lit. Veillée toutes les nuits mais là nous étions bien organisés. Toujours 2 à deux chaque nuit et on pouvait se reposer à tour de rôle et je te promets que malgré tout, je les ai fait rire avec moi. Pas de pleurnichage autour d’une malade. Car cette Dame avait tant peur de mourir pauvre elle est en repos. Je t’assure que ces gens ne m’oublient pas. Des Belges. M’ont donné un souvenir d’elle ! Et que Dieu me préserve de repasser par là.
Maintenant tu sais rien de nouvelles de Suisse à part Charli, ni Henri, rien je sais les nouvelles par tante Rose car elle reçoit des nouvelles des nièces mais ne dit rien car je ne saurais plus ce qui se passe en tous les cas c’est tout un tas d’idiots. Il me semble que pardonner les uns les autres serait bien mieux. Pour ce que c’est la vie hein toi. Pour mon compte, j’ai tout oublié. L’argent ne fait quand même pas le bonheur. Peut-être que ça aide mais dans ces conditions mieux est de ne pas en avoir. Hein là-haut tu salueras tous ces chers. Et salue Paul Huguenin aussi. Je l’aimais bien que de rire là-bas. Quand j’y pense je ris toute seule.
Bien ma chère à une autre fois et à l’année prochaine. Mais tu sais tes nouvelles sont tant les bienvenues que c’est long une année.
Je suis contente que tout va bien chez l’Adèle Jeannet. Heureusement n’est-ce pas.
J’espère que ça ira bien chez Jeannette et que Hitler se fera foutre en l’air ?
Chez Louis sont à nouveau à Winnipeg le commerce ne marche pas bien. Oui Louis doit tout recommencer quelle bêtise de déménager à leur âge.
Le petit Jean a les vacances. Violette n’a pas l’air de fréquenter c’est vive la joie.
Je vais aller faire du levain, faire du pain demain.
Adieu, chère cousine, reçois, ainsi que ta chère famille nos amitiés bien sincères et baisers bien doux de ta cousine et famille.
Berthe