"J’aurais encore beaucoup à dire mais me faut en laisser pour une autre fois..."

Ci-contre une image actuelle de la région de Whitewood (sud-est du Saskatchewan), où est installée la famille de Berthe. Tous droits réservés.

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Beynes, 24 janvier 1937


Ma chère cousine et famille


Eh bien ma chère, tu ne saurais croire combien ta si longue lettre a été la bienvenue, quelle bonne lettre. Merci de tout cœur d’avoir pensé à nous. Je voulais t’écrire mais je me suis dit je crois que cousine Angèle ne reçoit pas ma correspondance. Dieu merci ce n’est pas le cas et surtout heureuse de vous savoir tous en bonne santé merci aussi pour les jolies photos cela fait tant plaisir. Tous ont l’air bien portants et tous bien gais. Vive le bon vin hein.
Ici tous allons bien. Je vais aussi te faire assoir pour lire. Je te crois que je me suis assise pour lire ta bonne lettre et je te promets que cela en valait la peine, même mon mari a eu beaucoup de plaisir à la lire ainsi que les enfants. Tu vois au fond de l’exil, tu en fais des heureux.
(…) Je t’écris en attendant des visites des jeunes qui viennent avec accordéons piano et 2 guitares on aura du bon temps. Violette a été occupée toute l’après-midi à cuire des biscuits et gâteau elle disait si au moins c’était aussi les cousins et cousines de la Suisse comme tout cela serait joli une veillée ensemble. (…)
Ici les récoltes ont donné peu de chose et tu sais comme c’est. Aussi vite qu’on a un peu de sous aussi vite c’est loin. Quand il faut payer des taxes, le magasin, s’habiller etc. etc. tout file. Il nous faut de la pluie par exemple car c’est si sec. On se demande comment le foin a poussé il a fait des chaleurs à cuire tout. Il y en a bien qui n’ont pas eu de foin pas de fourrages en avoine et orge. Nous on a eu assez pour nous. Dieu merci. Mon mari ne coupe pas du bois, car on a un grand Suédois, un jeune de 28 ans qui aide à Charli. S’entendent bien. Ils charrient le bois. Auront bientôt fini. Vont le scier. Ensuite nettoyer le grain le printemps arrive. Et là il faudra se remettre d’aplomb le jardin.
Je te dirai que je suis allée à Winnipeg passer un mois chez Loulou. Il a fallu me décider à aller passer aux rayons X c’est la bile qui me chicane c’est plus sérieux que le foie encore. J’ai pris 2 traitements électriques. Il m’en faudrait encore ça va mieux depuis que je suis un régime. Régime pas mal sévère. Pas de viande, pas de beurre, du lait de beurre. Boire du lait bleu. Manger des légumes et justement on en en a pas eu beaucoup. Des fruits sans sucre. Quoi c’est toujours meilleur marché que le Docteur.
J’ai eu bien du plaisir avec Loulou et tous. Il a une si belle famille et tous bien portants. Loulou pense envoyer son jeune Louis au Locle au Technicum pour apprendre horloger. Loulou est toujours si gai. M’a conduit en auto tous les soirs après souper. Avec Adèle et leur dernière Marguerite qui a 11 ans. Il faisait une cuite que nous restions à la cave les chevaux sur les routes tombaient comme des mouches.
(…) Nous avons aussi le (sic) radio. J’aime beaucoup ça tu sais, nous avons la batterie qui est en bas. Il faut la recharger avec le vent. Nous avons un moulin sur le toit mais il faut du vent. On a pas l’électricité ici tu sais on a pas cette chance.
Nous tricotons aussi. Même filer la laine de mouton ce qui fait de la laine de 1er choix. Dans ce pays de loups il faut bien se mettre à tout.
On va faire boucherie bien vite. Toujours occupée. Aujourd’hui du pain. Repasser etc.
(…)
Chez Ali sont à Washington toujours les mêmes. Ali a vieilli paraît-il. Ont 2 enfants aussi dans les Etats-Unis il y a des inondations du dégât en masse aussi il y en a qui sont sans abri. On est mieux dans notre Canada dans la prairie hein toi Angèle ici on ne risque rien (…)
Et puis te dire si on vit meilleur marché qu’en Suisse ça je ne sais pas. Certaines choses sont bon marché mais ce qu’on vend on n’a rien pour (…). Le blé a monté, mais il redescend aussi vite. Le beurre il est rare les vaches ne donnent presque plus de lait ça vaut 1 f. 50 la livre les œufs aussi 1.50 la douzaine. La laine vaut 7 f. 00 la livre. Seulement presque toutes les femmes filent leur laine. Il y a assez de moutons aux alentours. (…) Il fait bien beau récolter cette laine elle est douce. Cet hiver j’ai tricoté deux tapis de fond de chambre avec des vieilles pattes. Ça est joli. Charli m’avait fait des bonnes grosses aiguilles au moins tu sentais ce que tu tenais quelque chose dans les mains ça aurait pris un tas d’huile pour les coudes ah ! ah ! il faut bien tuer le temps. Violette et Charli ça court au (sic) danse ou veiller ici et là après reviennent ici. Tu devrais les voir petit Jean a ses vacances et il est resté chez sa tante pour cette semaine celui-là il tient de la place ça blague et blague mais mieux vaut comme ça. Mon mari aide Charli ont coupé. 30 charges de bois il est scié. Ça se fait avec la machine. Et vont à la chasse aux chevreuils en ont eu 5. Ça est gai en arrivant quand ils ont eu de la chance. Mais ! s’ils sont bredouilles ah ! c’est une autre chanson. Il y a de quoi rire. Je voudrais te voir une semaine ici. Tu en pourrais raconter aux tiens à ton retour quand les avions viendront tu n’y manqueras pas hein ça va aller vite et il y aura une halte pas loin d’ici. Ils sont occupés à faire une place d’aviation pour atterrir passe juste au milieu de notre petit lac ça sera très intéressant ce printemps ici ça fait du changement. (…)
J’aurais encore beaucoup à dire mais me faut en laisser pour une autre fois et salue tous tes chers enfants. (…)
Ici où nous sommes c’est mélangé anglais. Français. Suédois. Hongrois. Belge. Norvégien. Naturellement que c’est la langue anglaise. Les enfants perdent tout leur beau français ici nous parlons français à la maison. Mais une fois en dehors salut je t’ai vu. C’est dommage. Les catholiques il y en a ici. Quelle religion c’est idiot, aussi on les laisse bien tranquilles. Nous on est trop loin de notre Eglise mais les tantes nous envoient assez de bonnes lectures qu’on en devient bonn hum ? Il ne faudrait pas que tante Rose nous arrive elle nous croirait perdus. Qu’en penses-tu ? Mais on est aussi braves que ceux qui vont chaque dimanche au culte. Avec le radio ça allait bien il y avait de jolis sermons le dimanche matin.
Bien ma chère cousine je te dis bonne nuit et reçois de tous à tous mes pensées affectueuses un tas de baisers bien doux de ceux qui t’aiment bien et ne vous oublient pas. Et à bientôt de tes si chères nouvelles.


Ton affectionnée cousine Berthe.