Le grand jour

Dimanche 12 août. Aujourd’hui, c’est le grand jour, car d’après le programme officiel de la fête, la Fanfare des « Petits Suisses » sera mise à contribution et se produira plus souvent qu’à son tour. Nous débutons donc dans les productions en donnant sérénade dès le matin à 11 H sur la place de la Barre, concert très goûté et applaudi par la population. A midi, nous regagnons l’Hôtel du Nord où le même menu nous attend à dîner et à souper, soit poisson de mer accommodé à des sauces diverses flanquées invariablement de séré dit « Petit Suisse » comme dessert, le tout arrosé de mâconnais, lequel n’est certainement pas de première cuvée ! N’eût été que le poisson, passe encore, mais c’était la propreté même de cet hôtel qui était plus que douteuse ! Quand on voit le poisson se nettoyer dans une remise sale au fond de terre battue, à côté des toilettes, tout ce qui est de primitif, quand faute d’écoulement, celles-ci empuantissent toute la maison, quand en montant de la remise, par un escalier vermoulu, on accède à la salle à manger où l’on découvre que la gent féline a fait caca sous les tables, l’appétit s’est envolé ! Dans tout ceci qui – disons-le – est le seule ombre au tableau, c’est la faute du Comité d’organisation, lequel se basant sans doute sur une tradition ayant cours en France qui dit ceci : « Le Suisse trait sa vache et vit paisiblement », ces Messieurs se sont dit : Les « Petits Suisses » seront mieux dans une étable où ils mangeront du poisson à tous les repas, cela ne sera pas compliqué. En effet, ce n’est pas compliqué, c’est même si simple que chacun en a assez. Aujourd’hui, il y a moins de défections qu’aux autres repas, car notre ami Jambon nous fait l’honneur de partager notre poisson. Pour le récompenser de cet exploit, nous lui conférons sur-le-champ l’Honorariat de L’Espérance. Ensuite, Maître Monnin dit Corbeau ouvre son bec pour améliorer le menu en nous gloussant les strophes innombrables de la Chanson « Ah quel joli bois Mesdames, ah quel joli bois », ceci pour faire honneur aux deux seules dames de notre cohorte, dont Mlle Châtelain de Cudret qui, au côté de Mr Vivien, s’évertue avec stoïcisme à faire passer le dernier fragment d’un requin de son assiette dans son estomac et tout cela en se pinçant le nez, car Monsieur le Ministre, en applaudissant Maître corbeau, avait par mégarde écrasé avec sa chaussure un caca de minet !

L’après-midi dès 13 H rassemblement au quai Jean Jaurès de toutes les Compagnies de Sapeurs pompiers, manoeuvrantes ou non, qui sont au nombre d’une cinquantaine. Tôt après la revue faite par les membres du Jury et la Municipalité et par 33 degrés à l’ombre, il y a grand défilé auquel notre société participe entre les compagnies de Plessis-Trévise et St Laurent lès Mâcon. Nous parcourons la ville par ses principales artères, nous jouons alternativement avec une clique de clairons qui nous précède et nous oblige d’adopter la cadence française, ce qui entre parenthèses ne nous fait aucun mal.
Pendant le concours qui suivit, Mr Jambon tient à arroser sa nomination au sein de L’Espérance et pour cela il nous invite à boire le verre de l’amitié sur le bateau-buvette de la Saône amarré au quai. Un concert vient ensuite, que nous donnons au kiosque du quai Lamartine en compagnie des Harmonies de Mâcon, de Cluny et de la Fanfare de Fuissé. Nous exécutons entre autre « La Vallée d’Ossau » de Benoist, valse interminable qui donne fort à faire à nos petits chants !
A la distribution des récompenses, nous y assistons également. Or, quelle n’es pas notre surprise de recevoir des mains de Mr Villey, préfet de Saône et Loire, une couronne d’or, que les autorités du concours et celles de Mâcon décernent à notre société en remerciement pour les services rendus pendant la fête. C’est tellement inattendu que l’on en oublie du coup et la chaleur torride et le « poisson de mer » ! Mr Georges Vivien, notre membre d’honneur, qui est notre porte parole attitré s’en tire de nouveau à merveille pour remercier tous ces messieurs de leur amabilité.

Après l’exécution de la Marseillaise et du Cantique suisse, L’Espérance se rend selon le programme à la place Glardon où elle donne un concert composé de 4 morceaux assez conséquents et de 2 marches, ce qui enchante les habitants du quartier, lesquels nous offrent, à la fin de l’audition, quelques bons verres.

Après le souper où, vu l’excellence du menu, vingt défections sont constatées, nous donnons encore au Quai Lamartine un ultime concert qui a le même succès que les précédents, car il est aussitôt suivi d’une invitation, celle d’un Capitaine d’armée qui, d’un geste gracieux, nous convie à prendre place autour d’une table chargée de crûs les plus divers en nous disant : Vous me faites plaisir, vous avez des gueules sympathiques !

Ensuite, on assiste au clou de la fête : Illumination grandiose de toute la façade de la Mairie et des quais, bataille aux confettis et danse au son d’un orchestre juché sur le kiosque. Des centaines de couples y prennent part et on les voit tournoyer dans une poussière inimaginable ! Ces ébats chorégraphiques durèrent une partie de la nuit, mais n’empêchèrent pas que cette dernière fût excessivement tranquille dans notre dortoir, et ceux qui durent loger au célèbre hôtel du Nord nous envièrent sous bien des rapports.