Hospitalisé pour rhumatisme ?

Richard a connu l’horreur des tranchées sur la Somme. Le 18 novembre 1916, il est grièvement blessé et rapatrié en Grande-Bretagne.

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Hôpital général de Glasgow, 7 décembre 1916

Chère sœur,

Tu seras sans doute bien surprise de recevoir une lettre d’Ecosse, tandis que ma dernière te parvenait de France. La vérité est que j’ai eu un peu de rhumatisme (…) et que j’ai été envoyé ici pour me reposer. (…) après cela je retournerai sans doute en France ; naturellement que le voyage est payé par le gouvernement.

(…) Ici tout va bien pour moi. Si cette diable de guerre pouvait enfin finir, mais il me semble qu’on en a encore pour longtemps, enfin espérons pour le mieux. (…)

Mes meilleures salutations à tous et bien des vœux pour un joyeux Noël et une heureuse nouvelle année.

 

Glasgow, 21 décembre 1916

Chère maman,

Je viens de recevoir ta lettre, ainsi qu’une carte et une lettre de Marthe, le caisson de cigares et les journaux ; tu peux penser si le tout m’a fait plaisir. Comme toujours, les cigares sont les bienvenus et, crois-moi, je suis tout à fait capable de les fumer. Je regrette que ces nigauds de Londres vous aient causé du souci avec leurs bulletins, je leur avais pourtant écrit de conserver leurs précieuses communications ; enfin le mal est fait, et vous vous êtes fait bien du souci pour rien du tout. La vérité est que j’avais été légèrement blessé par un éclat d’obus (et non par un coup de fusil). Ce n’était rien du tout, et si ce n’était que le docteur l’avait remarqué, comme j’aidais un camarade blessé à regagner l’ambulance, je n’en aurais seulement rien su. Le docteur m’a fait rester à l’ambulance et j’en étais bien surpris, pourtant comme j’étais assez fatigué, qu’il faisait nuit noire, et pleuvait (c’était le soir du 18 novembre ; au matin du même jour, les Canadiens avaient fait une avance et pris pas mal de terrain (tu verras sans doute cela en lisant les journaux du 18 et les comptes rendus de la Somme) donc à cause de la boue et du reste et des 2 ou 3 kilomètres que j’avais à retourner pour rentrer dans notre première ligne, je suis resté à l’ambulance ; cette même nuit j’ai été expédié à Boulogne (Vois-tu, le docteur me connaît, et a sans doute pensé qu’une semaine ou 2 de repos ne me feraient pas de mal). Cette petite blessure a été guérie en 2 semaines, malheureusement j’avais été inoculé pour le tétanos (c’est toujours le cas quand on est blessé) et l’inoculation n’a pas très bien réussi ; sans doute que j’avais été un peu meurtri par des éclats d’obus qui, sans me blesser, m’avaient un peu pressé l’épaule ; j’ai assez souffert pour quelques jours mais on m’a envoyé au Havre où j’ai été opéré et après quelques jours j’ai été envoyé en Ecosse. L’opération a très bien réussi et maintenant la place est cicatrisée et à part un peu de raideur ne m’ennuie pas du tout. (…) L’histoire du rhumatisme était imaginaire naturellement.

(…) Tu me demandes si j’ai obtenu mon poste d’interprète. Oui, aussitôt que nous sommes arrivés en France, mais il n’y avait rien à faire, c’était trop ennuyeux vraiment de sorte que j’ai obtenu permission d’accompagner mes camarades dans les tranchées. Nous avons visité la Flandre belge et la Somme ; la plupart de mes camarades sont morts ou blessés, de sorte que maintenant je n’ai plus bien envie de retourner dans les tranchées et je reprendrai ma place d’interprète ; à moins que je n’obtienne quelque chose de mieux, pour quoi j’ai été recommandé. (…)

Ne dépense pas d’argent pour acheter un manteau de tranchée, il y en a des milliers qui jonchent le sol sur la Somme, ainsi que des fusils, des manteaux ou n’importe quoi.

J’essaie, comme tu le vois, de vous donner tous les détails possibles ; j’ai été terriblement heureux durant cette guerre (le 18 septembre par exemple de 5 Canadiens et moi qui avancèrent comme volontaires, avec une autre compagnie, derrière notre barrage, 3 sont morts et 2 blessés). Crois-moi, il n’y a rien de bien réjouissant à sortir de son fossé, et d’avancer 30 ou 40 mètres en arrière d’une barrière de feu, à 6 heures du matin, avec la neige tombant à gros flocons, s’égarer dans la nuit, avancer trop vite et tomber dans votre propre barrage ; les obus vous frôlent les jambes, éclatent à droite, à gauche un mètre ou deux ; les hommes tombent et se roulent et d’autres s’en vont un morceau ici, un morceau là ; ensuite vous arrivez en plein dans le fil de fer et devez le contourner, et les Allemands vous envoient une avalanche d’acier avec leurs mitrailleuses. Et quand on a enfin passé par-dessus deux ou trois tranchées allemandes, il faut commencer de creuser une nouvelle tranchée pour s’abriter et tu peux penser si les Allemands vous laissent une minute de repos. Le 18 novembre un sergent de mes amis, tombe blessé par une mitrailleuse, comme on commençait de creuser. Un caporal et moi sortons de notre trou pour lui porter secours. Comme nous le portons, une mitrailleuse ouvre feu sur nous, tue notre blessé, et le caporal roule à terre avec une balle dans la gorge et une dans l’épaule ; pour moi, à part quelques trous dans ma tunique je ne suis pas touché. J’aide le caporal à rentrer dans notre trou, le bande tant bien que mal, et le soir du même jour le conduis à l’ambulance ; c’est quand j’ai été blessé.

Tout cela est passé maintenant, un joyeux Noël à tous et mes meilleurs vœux pour la nouvelle année.