La fin de l'année de la Victoire

A. D. Allier, Page de couverture de la brochure « la Victoire de la France » publiée en 1918 (tous droits réservés)

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Asnières le 23 décembre 1918

Cher Monsieur, chère Madame, chères amies,

Voici la fin de l’année, année de la Victoire ; je viens vous envoyer et vous renouveler mes vœux d’excellente santé et d’une heureuse année. L’année 1919, faut espérer, qu’elle nous sera plus douce plus humaine et qu’elle sera dans notre histoire, l’année de la Gloire, du Triomphe et de la Paix universelle.

Depuis deux mois Paris fête et acclame les gouvernants des pays alliés. Que c’est beau la Paix ! Qu’on la goûte avec douceur.

Après quatre ans de guerre, hors de son foyer, la Mort dans toutes les familles a laissé des vides irréparables.

Quel beau spectacle ce devait être, le jour, à l’heure, à la minute où les canons crachaient la Mort, aussitôt se taire : il faut espérer maintenant que les canons ennemis et les nôtres ont pour bien longtemps fermé leurs culasses.

Voilà bientôt 5 mois que je vous ai quittés. Que de changements dans la vie parisienne. Tout le monde est heureux, mais les épouses, dont les maris sont morts là-bas, au combat : elles disent toutes : »Il est mort, mais il est vengé. »

Oui ! du changement aussi pour moi.

Ayant quitté le collège à Neuchâtel je me suis résolu à me mettre à la pratique, mes petits savoir-faire.

Maintenant je suis habillé en ouvrier c’est sûr, mais je n’y resterai qu’un moment, car je veux arriver à un poste pareil à celui de mon père :il faudra travailler, je l’entends, je sais bien que la vie est un combat, qu’il y a des surprises. Je fais des économies et je pense que pas plus loin que l’année prochaine j’irai vous surprendre.
Je pense bien souvent à vous tous, à mes après-midi passés dans votre demeure. Aussi j’ai bien étalé mes souvenirs, la pelote que Mlle Hélène m’a fait faire. La bible que je lis presque les dimanches, et bien d’autres choses, me rappellent en votre bon accueil de votre famille. Je vous remercie encore madame Sandoz de vos gentillesses. Aussi rappelez-vous que dans notre famille on ne sait pas oublier. (…)

J’ai appris par une lettre d’Hélène qu’il y avait eu beaucoup de décès, par la grippe infectieuse. J’ai été content que personne de vous n’en ai pas eu un seul symptôme ! J’espère que vous avez passé un bon Noël. Ici en France il a été interdit de faire le Réveillon. « Grande privation pour Paris. » C’est pire que la carte de pain.
Papa, maman et Alfred se joignent à moi pour vous envoyer leurs vœux. Ils sont bien portants. Maman s’ennuie un peu. Elle aimait mieux la Suisse que Paname, quant à moi c’est la même chose, je déteste Paris.

Je vous quitte chère dame, cher Monsieur et vous chères amies en vous envoyant par respect, mes sincères salutations et cordiales poignées de mains (…)

Un petit Français qui pense à vous.