"Voilà un an que l’on a commencé à déblayer et à reconstruire..."

Vue des destructions de Maubeuge en 1918 (tous droits réservés)

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Maubeuge, le 28 octobre 1920

Chère Irène,

Voilà déjà longtemps que je remets pour t’écrire. Enfin, je m’y mets. Cette lettre ne sera pas longue mais je t’en promets une autre bientôt.

Pour commencer excuse-moi d’avoir tardé à te répondre à ta dernière lettre. (…) Tu dois me prendre pour un jeune homme impoli, ingrat, pour oublier de répondre à sa meilleure amie, à sa conseilleuse, à sa moraliseuse ; mais comme d’habitude je suis d’avance pardonné.

Comment vas-tu, que fais-tu ? Quant à moi, à ces deux questions je vais t’y répondre.

Ma santé est très bonne, je grandis, il paraît, et pour toi en voir l’effet je t’enverrai ma photo dans ma lettre suivante.

Ce que je fais c’est bien simple. Tout en continuant mes cours qui sont réduits à 10 h[eure]s par semaine je travaille avec papa. Les cours se font le soir à 8 h.
Je voyage beaucoup et souvent seul ou avec des ouvriers. Je ne suis jamais 3 jours par semaine à l’usine. Je vais soit à Paris, à Valenciennes, à Lille, à Dunkerque, ou dans les Ardennes. Cela pour prendre possession de machines ou des matières premières, pour notre industrie. Voilà 1 an que l’on a commencé à déblayer et à reconstruire, il y en a encore pour 1 an ½ avant que nous puissions mettre en route. Ils avaient bien rasé l’usine.

Comme amusements l’hiver c’est le théâtre ou le cinéma ou la chasse. La chasse est l’amusement de mon père et pour lui faire plaisir je mets tous mes dimanches à sa disposition pour être son rabatteur. Je vais temps en temps au théâtre pour voir soit « Les Cloches de Corneville » ou « Carmen » ou « Les Dragons de Villars » ou bien encore « La Mascotte » ceux-ci sont des opérettes ou de l’opéra comique. J’ai vu aussi L’Aiglon, Cyrano de Bergerac et d’autres pièces de bon goût. J’ai aussi retrouvé des camarades mais hélas ils sont tous volages pas moyen d’en trouver un assez sérieux. Alors j’ai dû faire comme eux m’amuser.

Dans notre ville de Maubeuge la jeunesse masculine est supérieure à la féminine.

Ce qui fait que dans les fêtes on s’arrange à 2 ou 3 camarades pour faire danser au bal une demoiselle. On danse chacun son tour avec la jeune fille aussi pour ne pas perdre une danse je danse aussi avec les vieilles femmes (ou dames si je suis poli).

Le papier me manque je me vois obligé de te quitter.

Remets mes amitiés à tes sœurs mes salutations à tes parents et garde pour toi l’expression de mon amitié sincère.

Jean Riquaire