Achat d'un chapeau

Dresde, le 21 juin 1906

(...) Je me suis acheté mon chapeau, ce n’a pas été sans peine. J’avais demandé à Mlle Grandjean de m’accompagner pour que je ne me laisse pas enfiler un rossignol ou une forme trop excentrique. Comme j’ai la tête pointue, il me faut quelque chose de haut. Comme les Allemands sont des gens à distinctions sociales, ils ont deux classes pour les chapeaux, une pour le peuple, l’autre pour les classes plus hautes. Quand nous entrâmes au magasin, et que j’eus fait ma demande, la demoiselle cria au garçon « Apportez depuis 15 marks ». Elle m’avait mis dans la haute catégorie. Alors commença un laborieux travail. Elle m’en montra d’abord de 35 marks et comme je refusais à cause du prix, elle voulut absolument me les faire essayer, pensant que je prendrais en voyant qu’ils m’allaient bien. Nous descendîmes ainsi tout doucement 28 marks, 25 marks, 24 marks, 21 marks, 18 marks, 16 marks. Je commençais à avoir la tête endolorie de tant d’essayages. A 16 marks quittaient les panamas et commençaient les ordinaires. Après de longues délibérations avec la marchande sur la durée, la qualité d’un panama, j’en choisis un à 16 marks, après qu’elle m’eut juré qu’il me durerait deux fois plus longtemps qu’un autre à 10 ou 12 marks. En outre comme je le mets le dimanche, il est digne de ce jour-là. C’est curieux, je ne sais si c’est parce que je l’ai acheté moi-même, mais il me fait plaisir et c’est la première fois que j’éprouve pareil sentiment pour un chapeau ou tout autre vêtement. Il me va très bien avec de larges ailes, beaucoup plus longues que celles de l’Américain qui a payé 28 marks. Je l’ai choisi avec ruban noir à cause de grand-maman.

J’ai acheté mes chaussettes, mais pas mes caleçons, il y en a de tellement de prix que je ne sais pas que prendre. Je serais bien content si chère maman me disait un prix approximatif. Mlle Grandjean ne sait pas non plus que me conseiller. (…)