"Le premier de l'an approche et j'ai beaucoup de cadeaux à préparer..."

[]
Cliquez pour agrandir

Nouméa, le 7 décembre 1922

Ma chère Irène,

Que tu deviens paresseuse ! J’ai enfin reçu, il y a à peu près un mois ta lettre de Chaumont, du 23 août, et je t’avoue que je désespérais de la recevoir jamais. Mais je suppose que cela ne se renouvellera plus et que tu m’enverras les photos promises car je ne t’en tiens pas quitte, tu sais. De mon côté, j’aurais bien voulu t’en envoyer d’autres cette fois-ci, mais, en ce moment, il n’y a pas un morceau de papier sensible à Nouméa, aussi je n’ai trouvé à t’envoyer qu’une de moi tirée dernièrement, elle est un peu noire, mais je ne suis pas mal réussie, qu’en penses-tu ?

Il y a quinze jours aujourd’hui que je suis rentrée à Nouméa, car j’ai été passer une quinzaine de jours dans la brousse, à Nassirah, à 90 km d’ici, et je m’y suis, comme toujours, bien amusée. Avec les jeunes filles de là-bas, je me suis promenée à pied dans les paddocks, en voiture et surtout à cheval. J’ai trotté et galopé à travers les niaoulis [le niaouli est un arbre de la famille des Myrtaceae originaire de la côte orientale de l'Australie et de Nouvelle-Calédonie] à la poursuite du bétail ou des chevaux, ou bien simplement sur la route, pour le plaisir de faire de la vitesse, car ma jument marchait bien. Elle répondait au doux nom d’Idylle. C’est joli, n’est-ce pas ?

Depuis que je suis rentrée, nous passons notre temps en thés et en dîners, ce soir encore nous dînons en ville et cependant j’ai beaucoup de travail à faire. En effet, le premier de l’an approche et j’ai beaucoup de cadeaux à préparer ; aussi je passe mes journées à pyrograver, à peindre et à broder pour faire des coussins, des cadres à photographie, des coupe-papiers etc.

Au commencement du mois de février, une escadre française va venir à Nouméa et on prépare des fêtes en son honneur. Elles dureront cinq jours, tant à bord qu’à terre et elles se composent de bals, régates, soirées théâtrales etc. Les Calédoniens se réjouissent et moi aussi.

Depuis quelques jours, papa a été nommé directeur de l’administration pénitentiaire et cela ne lui sourit pas beaucoup car il n’aime pas ce métier-là et il n’en retire que des ennuis, aucun avantage.

En ce moment, je fais de l’élevage de chiens fox-terriers et de serins. Ma chienne m’a offert quatre petits chiens ronds comme des boules : ils sont nés absolument sans queue et, naturellement, je n’en ai pas noyé un. J’en ai donné nous en avons gardé un ce qui fait que nous sommes à la tête de six chiens à la maison maintenant. Heureusement que le jardin est grand ; nous possédons d’ailleurs une ménagerie complète ; quand on visite la propriété, on se croirait presque au jardin d’acclimatation.

Le courrier part demain et j’ai écrit sept lettres dont une pour faire une commande en France. J’ai commandé entre autres une lampe électrique de poche, car, en Calédonie, c’est bien commode, surtout pour faire de la photo en brousse.

Quand ma lettre te parviendra, le premier de l’an ne sera pas loin. Aussi je la charge de te transmettre mes souhaits les plus sincères pour 1923. Maman se joint à moi pour adresser nos meilleurs vœux à Madame Sandoz.

Souvenir à tes sœurs et à tes compagnes, et, pour toi, les plus affectueux baisers de ton amie

Marie-Alberte