Relations de bon voisinage

Charles Wille photographié en été 1890

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2 juin 1866, Charles Wille


Chère père,

(…) je bavarde, je ferai mon possible, à l’autre page, de te parler plus sérieusement comme il convient à un fils respectueux. Pour le moment, je ne le puis guère, j’ai l’impression de trouver que je te ressemble, enfin ne t’en fâche pas parce que je me trouve bien !

Ainsi je suis compromis à te parler sérieusement, cette page doit être sérieuse, un sermon de morale. J’ai envie de la laisser en blanc ou de copier quelques versets de la Bible. Bah ! je vais te dire ce qui me passera par la tête, il en sortira ce qu’il pourra. Je vais te raconter un petit voyage que nous avons fait il y a 15 jours à une sucrerie à 6 ou 7 lieues d’ici chez un riche propriétaire. (…) Nous sommes sortis de Sagua à 5 h. du matin M. Oyeulo, un lieutenant de la troupe et moi. Le voyage s’est fait sans accidents, si ce n’est le lieutenant qui a mis bas culotte moitié chemin ; il avait du papier, tout s’est bien passé ! (…) En arrivant, nous avons visité la propriété qui, pour moi, n’avait rien de nouveau. Nous avons déjeuné, fait la sieste, blagué et à 4 heures, nous nous sommes remis en chemin pour Sagua, accompagné du propriétaire. (…) Nous sommes arrivés sans accident chez M. Oyeulo où Eugène et deux ou trois amis nous attendaient pour dîner, ce que nous fîmes avec beaucoup d’appétit. Nous nous retirâmes de bonne heure étant un peu fatigués du voyage, nous avions fait nos douze lieues. Je t’assure que cette nuit-là j’ai bien dormi ; seulement, le lendemain, j’avais le derrière un peu endommagé, aujourd’hui il n’y a plus rien et je jouis de beaucoup de salut dans la partie postérieure.

Depuis quelque temps, je visite souvent la famille d’un tailleur français, M. Dubié. Il a une dame aimable, qui entend la plaisanterie ; ne vas pas te figurer des choses ; elle est très honnête, travailleuse, bonne femme de ménage et très rieuse. Ce qui m’attire chez elle, ce sont ses amies ; elle reçoit quelquefois des demoiselles assez jolies et moi, j’en profite, voilà tout. On me plaisante, on dit que je suis amoureux ; je laisse croire et le temps se passe un peu moins monotone. La femme de M. Dubié (…) a trois enfants et un chemin ; elle le nie quoique son ventre soit déjà d’une grosseur respectable. Enfin je vais laisser ce ventre tranquille et creuser mon imagination pour remplir la page qui suit.

(…) Je te quitte en t’embrassant sur les deux joues. Bien des choses aux parents. Ton fils Charles.