"On finit par se rouiller."

Charles parti pour La Havane (cf. carte ci-dessous - tous droits réservés), Eugène s'ennuie...

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2 mai 1866, Eugène Wille


Cher Père,

Ne te plains pas si je n’écris pas beaucoup ce mois-ci, car je suis seul depuis quelques jours, Charles étant allé à La Havane pour recevoir la caisse d’horlogerie et aussi pour voir un peu ce qui se passait, car il y avait à peu près 4 ans qu’il n’était pas sorti de cet infâme petit village ; on finit par se rouiller.

Je viens de recevoir une lettre, c’est-à-dire 4 lignes dans lesquelles il me dit qu’il boit trop, qu’il mange trop, qu’il est impossible de refuser d’accéder aux instances de M. Guinand, qu’il a reçu la caisse d’horlogerie et… qu’il est mon frère ! M. Guinand trouvant que c’était trop bref a eu l’amabilité d’ajouter quelques mots très gais et qui, je suis sûr, ont été écrits au moment du dessert ; il m’annonce une cravate et une bourse. Mon veuvage ne sera pas long car Charles m’écrit qu’il sera de retour vendredi c’est-à-dire après-demain. J’en suis bien aise, car je ne sais plus avec qui me chicaner.

Vos dernières lettres nous ont fait bien plaisir ; j’ai appris avec joie que tu étais enfin entièrement rétabli, c’est le principal. Voici l’été, tu pourras achever d’engraisser et d’être en meilleure santé que jamais. Et maman, quelle bonne longue lettre, je lui en suis d’autant plus reconnaissant que je sais bien que ce n’est pas son goût d’écrire longuement. Dis-lui que je suis bien aise d’avoir obtenu son approbation sur l’achat de mes chemises. Charles doit en rapporter de La Havane. (…)

Je ne peux pas encore faire une nouvelle commande car j’attends Charles et les montres pour pouvoir demander ce qui nous conviendra le mieux. J’espère pouvoir faire une remise de fonds le mois prochain (…). Nous ressentons déjà une chaleur excessive, si cela continuait en progressant jusqu’en été, on serait obligé d’abandonner la place. De plus une sécheresse désespérante ; l’eau de citerne fait faute ; on sera bientôt obligé de boire de l’eau de la rivière quoique, suivant quelques personnes, elle ne soit pas très hygiénique. (…)

Bons baisers, ton fils Eugène.