Retour à l'horlogerie

Jean et Yvonne s'installent en ville, à Wauchula, où Jean reprend son métier d'horloger-rhabilleur.

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19 mai + 24 mai 1923 (Jean)

Bien chère maman,

Nous voici depuis hier à Wauchula ville. Nous avons fait notre petit déménagement en camion. Cela nous semble tout drôle d’avoir des voisins et d’entendre des autos ; après nos 6 mois de vie à la campagne nous croyons presque vivre à Paris ou New York ! (…)

Tu tiens à savoir si le contact des humains ne nous manquait pas ; en toute franchise non, d’ailleurs ce n’est pas tout à fait comme dans la jungle, il nous arrivait fréquemment de voir de nos semblables passer rapidement en auto sur la route traversant notre terrain. Nous nous sommes rappelé avec effarement hier au soir que Pentecôte et l’Ascension avaient d’u avoir lieu aux dates que tu nous indiquais. Quoique extrêmement religieux (…) les Américains ne s’encoublent pas des fêtes, elles ne sont pas même marquées sur les calendriers, en outre pas de jour férié comme Vendredi-Saint, lundi de Pâques ou de Pentecôte. (…)

(…) Je travaille depuis lundi chez un très gentil patron et je crois que tout ira bien. La vie est tout autre qu’en Suisse, beaucoup plus large, moins mesquine ; mon patron me dit tous les prix des montres que je rhabille et c’est général, il n’y a pas, comme chez nous, ces petites cachotteries. Chacun vous dira ouvertement ce qu’il fait, ce qu’il gagne ou ce qu’il a perdu. Il faut être sur place pour voir dans mille petits détails, combien l’on est plus libre. Tu peux faire comme tu veux, te vêtir comme tu l’entends, personne ne te critiquera. (…)

Evidemment il nous a fait gros au cœur de quitter notre maison, notre terrain, notre mulet et tout le reste, mais nous sommes contents d’avoir choisi cette solution. Elle est certes moins belle, moins « pittoresque » (…), mais au moins nous avons une situation favorable et indépendante des risques agricoles. (…)

 

9 juin 1923 (Yvonne)

Ma bien chère maman,

(…) Jean et moi vous remercions aussi pour la grande affection que nous retrouvons de nouveau dans vos lettres depuis que vous nous avez compris. C’était en effet le plus sage moyen de s’en tirer et nous ne regrettons pas d’avoir pris cette solution.

La petite ville de Wauchula nous plaît bien et nous nous sommes vite refaits à la vie « des petits bourgeois » comme dit Paulet ! – L’appartement que nous louons nous fait bien plaisir ; j’y ai tout le confort voulu. (…) Cette fois nous avons de bons fauteuils (en osier) et après les repas et le soir, nous nous balançons bien gentiment sur notre porche (tout grillé) tout en causant et en lisant. J’ai écrit (nous nous balançons), car les fauteuils dans ce pays sont presque tous à balançoire. C’est probablement pour avoir un peu plus d’air et c’est très plaisant. (…)

Mon petit Sapi se plaît beaucoup dans son magasin ; il est heureux d’être employé et jouit d’être momentanément sans aucun souci ; il est fier le samedi de m’apporter sa paye ; cela lui a semblé bien drôle de gagner vraiment ! Notre santé est toujours très bonne ; le chaud augmente encore ces jours, mais les nuits sont toujours plutôt fraîches. Maintenant c’est la saison des pluies ; de bonnes grosses averses, tout ruisselle, le ciel est tout noir, des éclairs, du tonnerre pendant 20 à 40 minutes : puis tout redevient calme et gai pour 3 à 6 heures. Inutile de vous dire que tout sèche rapidement sous ces ardents rayons de soleil, de sorte que la pluie n’est pas le ¼ aussi ennuyeuse qu’en Suisse. Tout pousse maintenant avec une rapidité formidable, le gazon et la pelouse demandent à être coupés 1 fois par semaine, les fleurs s’ouvrent et se fanent presque en un jour, mais malheureusement actuellement très peu de légumes. Beaucoup de conserves, des pommes de terre, des racines rouges, carottes, maïs et oignons, voilà ce qui pousse maintenant. Nous mangeons beaucoup de maïs, c’est délicieux, soit cuit au lait ou au sel avec des oignons ; il est par lui-même un aliment complet et nous l’aimons beaucoup. (…)

Ces deux dernières semaines, j’ai travaillé dans une maison d’expédition d’ici où je me plaisais bien et où j’ai pas mal gagné. Malheureusement pendant les mois d’été elle se ferme et ne pourrai y rentrer qu’en octobre. Jeannot en est tout content, mais pas moi ; je cherche autre chose et vous dirai quand j’aurai trouvé. Je trouve normal de travailler un peu maintenant que je suis jeune, ce sera toujours autant de trouvé pour éventuellement replanter des arbres ou pour autre chose, n’est-ce pas ? (…)