Un père bien protecteur

ou quand un père se soucie des relations de sa fille

Un père bien protecteur

Les fonds des Archives de la vie ordinaire (ici le Fonds Jean-Paul Bourquin) contiennent nombre de pièces qui attestent des mentalités d’un autre temps. Ainsi, à la Belle Epoque, un notable chaux-de-fonnier fait part à sa fille de ses soucis quant à ses fréquentations.

Albert Bourquin-Jaccard (1860 – 1948) est directeur d’une importante maison d’horlogerie et de l’entreprise de construction Bourquin et Nuding. Propriétaire de terrains et d’immeubles, président de diverses sociétés, grand sportif, c’est aussi un homme très attaché à son Eglise. Ses deux lettres témoignent bien des préoccupations morales de la bourgeoisie neuchâteloise du début du siècle dernier.

La première lettre tente de poser des limites à une relation entre Inès Bourquin (1891-1985) et Paul Baillod (1886 – 1950), avocat et notaire né à La Chaux-de-Fonds. Les deux jeunes gens ont dû faire connaissance en 1905 au cours de balades en barque sur le Doubs. Ainsi Inès Bourquin écrit à Paul Baillod quand celui-ci est étudiant à Dresde, puis à Heidelberg, en 1906-1907. A l’époque où Albert Bourquin s’adresse à sa fille Inès, Paul Baillod est encore soigné au sanatorium de Leysin pour sa santé, qui restera déficiente jusqu’à sa mort en 1950. Albert Bourquin refuse donc à sa fille mineure (19 ans), qui réside à ce moment-là dans la réputée maison de pension et d’études pour jeunes filles de l’Eglise des Frères moraves à Montmirail (1766-1988), le droit de visiter son amoureux à Leysin. Cette réticence des parents à favoriser une union avec un homme de santé fragile fait écho aux obstacles rencontrés dans leur amour par les deux jeunes gens de 23 et 29 ans au cœur du dossier Une petite flamme en moi s’est allumée… Le mariage entre Inès et Paul finira pourtant par s’accomplir, avec une grande fête au restaurant de Bel-Air à La Chaux-de-Fonds, le 14 septembre 1915.

 

La deuxième lettre, écrite de Rheinfelden où Albert Bourquin-Jaccard était sans doute allé suivre une cure thermale, va mettre fin prématurément à une formation artistique que la Première Guerre mondiale aurait de toute façon interrompue. Inès ayant manifesté des dispositions pour le dessin, ses parents l’autorisent à poursuivre des études à Paris. C’est dans ce cadre qu’a été prise la photo d’Inès en train de modeler. Elle y suit entre autres l’enseignement du professeur Jean-Antoine Injalbert (1845-1933), qui anime des cours de sculpture pour jeunes filles à l’Ecole des beaux-arts et à l’Académie Colarossi. L’Académie Colarossi – créée en 1870 – et l’Académie Julian – fondée en 1867 – sont mixtes et accueillent des femmes qui sont autorisées à peindre et sculpter des nus d’après des modèles masculins, ce qui n’est pas sans susciter le scandale auprès des milieux bien-pensants. Camille Claudel et Jeanne Hébuterne, muse de Modigliani, ont ainsi été élèves de l’Académie Colarossi. Le professeur Jeanniot, auquel fait référence le père d’Inès Bourquin dans sa lettre, pourrait être Pierre-Georges Jeanniot (1848-1934), peintre, dessinateur et graveur.

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Mise en garde

Les nus de l'Académie