Le Noël des pauvres au château

Les cadeaux de la Princesse von A.

le 27 décembre 1940

Lettre commune

Mes chers, quelle joie d'avoir un moment pour m'entretenir à nouveau avec vous!

Je vous ai raconté, je crois, le voyage du sapin de Noël. Samedi passé, sans que personne ne s'en aperçoive, il s'est trouvé dans le salon, tout seul et digne comme un beau roi.

Après souper, la cérémonie de "l'habillage" a commencé. Toute la semaine, nous avions mis des ficelles à des biscuits, à des petits sucres, nous avions emballés des pralines dans des papiers de couleur et avions raccommodé les chaînes mal en point. Nous avons beaucoup de travail car nous avons garni 3 arbres. Le nôtre, celui des domestiques et celui des pauvres. Mais quelle joie de préparer cela et quelle joie de monter sur des échelles et de garnir les branches des 3 sapins! Quelle joie de laisser tomber "presque exprès" un petit sucre par terre pour pouvoir le manger!... Nous étions fous!

Dimanche, la cérémonie a continué et lundi, personne n'a eu la permission d'entrer au salon, si ce n'est les grandes personnes! (J'en étais!)

Mardi 24, à midi, a eu lieu le Noël des enfants pauvres. Il avait lieu dans une salle basse, bien chauffée, meublée d'une longue table et de bancs. 40 enfants mal habillés, sales, pâles, timides étaient assis devant une bonne assiette de soupe épaisse et nourrissante et un gros morceau de pain noir. A un signal, le plus grand d'entre eux a fait la prière en slovène et c'est seulement après le signe de croix final qu'ils ont commencé à dévorer la soupe, sans dire un mot. La Princesse et moi faisions l'office de "reservir". A 3h., ils revinrent tous avec leur mère pour recevoir un paquet préparé par la Princesse dans lequel on met des chaussures, des bas de laine, des habits, un jouet et une grosse tresse. L'arbre était allumé; les paquets attendaient sur une table, et ils étaient tous là, serrés autour de leurs mères, comme des agneaux étonnés.

Alors la Princesse prit chaque paquet et, à l'appel du nom inscrit dessus, le remit à chacune des femmes.

Puis, en signe de reconnaissance, elles se regroupèrent et chantèrent, d'abord timidement puis plus fort, "Voici Noël" en slovène. Pendant ce temps, nous dégarnissions l'arbre pour distribuer les sucreries aux enfants.

Nous nous sommes un peu retirés et toutes les femmes et tous les enfants sont venus un à un, baiser la main de la Princesse, très émue. Elle avait les yeux pleins de larmes et elle tendait sa main avec tant de naturel que je l'ai trouvée du coup quatre fois plus sympathique. On sent qu'elle aime ces malheureux. Elle a préparé chacun de ces paquets elle-même avec beaucoup d'amour. Ils auront à manger tous les jours pendant 3 mois. Jusqu'à ce que l'hiver soit passé!