Débrouilles

Le temps des "débrosses"

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Extraits:

Au printemps de la deuxième année de notre installation (1932, ndlr) lors d'une descente à la quincaillerie, sur la place de l'Hôtel de Ville, nous avons acquis la panoplie du parfait bûcheron de l'époque, pas encore de bruyantes tronçonneuses! Pourquoi chez "Toulefer" et non chez "Kaufmann et Fils", mieux achalandé? La raison en est simple, "Toulefer" faisait crédit alors que chez l'autre, on devait payer comptant, surtout si l'on était "tout petit bûcheron et grand chômeur".

C'était le début de cette période pénible pour les sans emploi. Les "débrosses" restaient accessibles aux demandeurs et les propriétaires de forêts pas trop gourmands sur les prix. Je crois me souvenir que le droit de pénétrer et d'y travailler légalement une "débrosse" à la serpe uniquement, coûtait cinq francs à l'intervenant. Un de nos premiers grands chantiers se situait dans une forêt à droite lorsqu'on arrive du haut du "Raymond". Il se pouvait aussi, hélas comme par hasard, qu'un sapin, sec tout vert, tombât comme par miracle, dans le lot de branches que nous avions le droit de ramasser au sol, le "pôvre"! Cette petite opération se renouvela à chaque endroit où nous intervenions. Les troncs restants étaient, comme toujours frottés à la cendre pour donner à l'opération une allure d'ancienneté qui ne nous concernait pas du tout, du tout!

Une autre "débrosse", par exemple, se situa en haut de la petite "Brûlée", au-dessus des "Petites Crosettes", chez l'un des nombreux Oppliger de la région. De cette expédition, je m'en souviens plus particulièrement, et pour cause. Le papa, jamais à court d'idées, avait acquis une charrette à bras, solide certes, mais lourde comme un char à pont. Ce véhicule "extra-terrestre" , bon pour le Musée des Transports de Lucerne, fut aussitôt utilisé pour le voiturage du bois entre les chantiers et la maison. Revenons à cette fin de journée, après avoir chargé le monstre, il fut décidé que la descente de la petite "Brûlée" s'effectuerait dans la formation suivante: maman et papa à l'arrière pour retenir la charge, à l'aide de cordes, au cas où le "bourricot" s'emballerait à l'avant. Le départ se fit sans esclandre mais avec quelques conseils préalables du maître charretier. L'imprévisible se produisit au moment où la charge, sur mes bras, dépassant mes capacité musculaires, je dus lâcher les timons qui se plantèrent aussitôt dans le sol et toute la charge passa par-dessus moi. Je me réveillai groggy, étendu dans l'herbe, avec deux visages anxieux me regardant. Ce fut mon premier évanouissement. (...)

Nous récupérions tout, jusqu'aux brindilles. Maman fut sacrée championne du petit fagot, en a-t-elle cassé de petites branches pour en faire des "balluchons", ni trop squelettiques pour ne pas casser la ficelle qui les liait, ni trop gros afin de pouvoir les enfiler dans la "gueule du fourneau de la chambre. Ce dernier était quelques fois capricieux. Si nous lui donnions trop à manger, il se mettait à vomir par porte et fissures. Si les première fois nous craignions ses sautes d'humeur, nous avons fini par nous y habituer: pour assainir l'air, nous devions ouvrir toutes les fenêtres pour évacuer ses fumées.

 

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