Une ménagère modeste de l'Entre-deux-guerres

MARGUERITE LEUBA a fini sa vie au Locle le 29 novembre 2002, mais elle est née le 25 septembre 1911 à La Côte-aux-Fées dans une famille paysanne de sept enfants. Elle a travaillé comme tailleuse, puis comme infirmière. A l’âge de 79 ans, elle a rédigé quelques souvenirs de sa vie. Elle raconte entre autres son enfance et parle du rôle de sa mère, sans cacher cette réalité : pour bien des familles pauvres, le budget de la ménagère ne lui permettait pas de remplir sa mission comme elle l’aurait voulu.

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Mes parents avaient beaucoup de peine à subvenir aux besoins de la famille. Nous étions 7 enfants, très peu d’argent. Nos parents se sont privés de bien des choses pour que leurs enfants ne manquent de rien. Sûrement ce qui sauva en partie la situation ce fut que nous avions un grand jardin. Il y avait les pommes de terre, les choux qui devenaient de bonnes choucroutes. Des choux-raves qui, crus, faisaient notre affaire pour faire l’école buissonnière. En douce nous partions à l’aventure, le chou-rave sous le bras, vive la liberté : nous avions de quoi manger. Avec l’écorce nous faisions des masques. Au temps des fruits nous allions un peu à la maraude quoique nous avions aussi des raisinets au jardin, nous allions cueillir des myrtilles, nous avions aussi de bonnes confitures, il y avait aussi des framboises et à la saison des champignons nous avions de bons repas. Nous en trouvions beaucoup en ce temps-là. Ils deviennent rares maintenant. Quant à la viande, nous élevions 2 cochons et en décembre il y avait boucherie. 1 des 2 était vendu, l’autre était pour la famille, et devait pourvoir pour toute l’année. Je crois que quelques paysans avaient une vache et vendaient parfois assez bon marché et l’on en achetait. Quant au pain, il fut un temps que maman nous donnait un morceau, à nous de le faire durer. Instinctivement je regardais si un de mes frères en avait plus que moi. (…) Ce morceau de pain je le vois et j’y pense. Comme un petit fait peut nous marquer… (…) Dieu avait donné à maman le don de savoir comment employer ce que nous avions pour faire que cela se multiplie. (…)

Je la vois le samedi soir préparer sur notre chaise au pied de notre lit les habits de rechange propres. Chacun passait dans la baignoire. Il fallait que nous soyons propres pour le jour du Seigneur. Le repas de midi était préparé le soir. Le dimanche matin papa préparait le déjeuner et mettait le repas à cuire pendant notre absence. Les grands garçons et filles devaient faire leur lit afin que maman puisse avoir moins à faire ce jour-là. (…)

A part Noël, mes parents faisaient en sorte de marquer toutes les fêtes d’églises et nos anniversaires. Maman faisait ces jours-là un biscuit pour mon anniversaire, souvent c’était des cuisses-dames. Il y avait parfois un gâteau que j’aimais particulièrement. Je regrette de ne pas savoir la recette. Je crois qu’il y avait du résidu de noix, mélangé dans la pâte celle-ci était étendue, mise sur une feuille à gâteau et avant de le cuire elle passait une roulette pour former des triangles qui une fois cuits se cassaient et donnaient de petits biscuits. A Nouvel-An, il y avait les traditionnels bricelets. Ceux-ci étaient mis dans de grandes boîtes et si possible cachées de nous tous. Une année les boîtes furent mises tout au haut d’un buffet. Hélas, la cachette ne fut pas des meilleures. Je l’avais trouvée. Je mis une table et par-dessus un tabouret ce qui me permit d’arriver à la boîte. Pour que personne ne s’en aperçoive, je n’en prenais que 2 ou 3. Mais mes frères en faisaient autant, sans se consulter bien sûr. Je me demande combien maman en avait trouvés lorsqu’elle voulut en prendre et en offrir aux visites ! (…)

 

Image : La recette des bricelets, écrite par Marie Roulet, institutrice à La Chaux-de-Fonds (décédée en 1892), est tirée du fonds F.-L. Jeanneret-Grosjean.

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