Le quotidien de l'étudiant

Après Dresde, Paul Baillod a pris ses quartiers à Heidelberg

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Heidelberg, le 8 octobre 1906

Ma chère famille,

J’ai été enfin immatriculé samedi. Nous étions environ 400 réunis dans l’aula que papa a visitée. Il y avait parmi nous une douzaine d’étudiantes. 3 huissiers faisaient le service d’ordre. A midi sonnant l’un d’eux a crié : « Debout » et le prorecteur suivi de 2 secrétaires a fait son apparition. Il était revêtu d’une grande robe violette à parements noirs, d’un béret carré et portait autour du cou une chaîne d’or terminée par une plaque portant le grand sceau de l’Université. Nous n’avons eu que le prorecteur, car le recteur est Frédéric, par la grâce de Dieu grand duc de Bade et duc de Zaehringen et ce brave roitelet ne se dérange pas pour si peu.
Le prorecteur nous a fait un excellent discours ou les mots d’honneur, de travail, de patrie etc. revenaient comme des refrains. Puis il s’est adressé aux étrangers pour s’élever à l’universalité des sciences qui ignorent les frontières et a terminé en nous disant de nous asseoir et de venir prendre nos papiers à l’appel de notre nom, qu’un secrétaire appelait. Lorsqu’il eut glapi « Paul Balleu » je pensai que c’était moi dont il s’agissait et j’allai recevoir mon carnet d’inscription, ma carte de légitimation et mon certificat d’immatriculation. Ce dernier est une grande feuille en latin où je suis traité de Paulus et la Suisse d’Helveticus. Je l’ai pendu dans ma chambre pour l’apprendre peu à peu par cœur. (…)

Je prendrai donc droit pénal (5 h.) – Histoire du droit romain (6 h.) – Cours de latin (2 h.) – Droit international (2 h.) – Introduction à la statistique (1 h.) – Histoire des théories politiques et sociales (3 h.) – Introduction à la philosophie (4 h.) et maladies sexuelles et leur importance sociale (1 h.). Soit en tout 24 heures. (…)
Merci aussi à chère maman pour sa recette de bifteck. Je l’ai tout de suite communiquée à Wavre et nous avons décidé de l’essayer le soir même. (…) J’ai rarement mangé un bifteck aussi bon, aussi juteux. C’est un vrai délice. Si maman sait encore quelques recettes nous lui en serons très reconnaissants.
Le souper est une partie importante de notre vie. Je connais bientôt tous les magasins de comestibles du voisinage, ceux où la demi-livre de miel coûte 60 ou 75 pfennigs, les boucheries où la viande séchée coûte 65, 80 ou 90 pfennigs, les boulangeries où les petits pains sont les mieux cuits, etc. Le souper se fait tantôt chez l’un tantôt chez l’autre afin que la part de pétrole soit égale pour chacun. D’ailleurs si ma chambre est plus petite, elle est plus chaude que celle de Wavre, ce qui est l’important pour l’hiver. (…)

J’ai mon après-midi libre et je viens de finir la traduction de mes cours du matin. Il pleut terriblement et le temps est assez froid... Je suis emballé dans ma bonne robe de chambre et à côté de moi mon thé vient de finir de cuire. Je bois la première gorgée à votre santé : Prosit ! C’est une vraie bénédiction que cette vie d’étudiant. On peut se dorloter comme on veut. La matière est intéressante de sorte que c’est un plaisir de la travailler. On a à côté de soi, sa théière à droite, sa boîte de sucre à gauche. On ne peut pas demander mieux. (…)

Heidelberg, le 11 novembre 1906

Ma vie se continue toujours la même, apportant chaque semaine les mêmes cours et les mêmes devoirs. Je ne m’en plains pas, au contraire, mais je ne peux pas ainsi vous écrire des faits nouveaux. Et si je vous parlais de mes cours, vous vous plaindriez tout de suite que je refais de la philosophie au lieu de vous dire si je brosse mon chapeau régulièrement ou si je me rase trois fois par semaine. (…)

 

 

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