L'arrivée à la pension de Dresde

< Page précédente    ·    Table des matères    ·   Page suivante >
[]
Cliquez pour agrandir

Dresde, le 20 octobre 1905


Ma chère famille,


C’est avec assez d’embarras que je vous écris, car après les récits détaillés que papa vous aura faits, il ne me reste plus grand-chose à dire.
J’avais le cœur un peu gros à son départ, moins que lui toutefois, mais le nouveau de ma situation, la beauté de la ville m’ont arraché à mes regrets et je me suis dit que puisque ce temps d’éloignement de la maison est nécessaire, il faut en profiter le plus possible et le passer gaîment. Et c’est aussi ce que je fais. A ma grande confusion, je dois vous dire que je n’ai pas encore regretté une fois la maison. J’ai beau me tâter le pouls, tirer la langue devant la glace, je ne me découvre aucune maladie de langueur causée par l’ennui. (…)


Mes patrons me plaisent beaucoup. C’est surtout avec le pasteur que j’ai à faire. Je l’avais jugé du premier coup d’œil : un pasteur ayant plus de science que de foi, assez égoïste de nature. J’avais jugé trop tôt. L’homme est un croyant sincère mais timide, et il ne dévoile ses convictions que lorsqu’on lui pousse l’épée dans les reins. Il est aussi très instruit et joint un rare bon sens à une solide argumentation. C’est ce que j’ai pu juger dans nos promenades quotidiennes qui durent parfois 2 heures et commencent invariablement à 4 heures. Où j’ai aussi découvert qu’il n’est pas égoïste, c’est que sa fille étant au lit ces jours, il passe toutes ses veillées près d’elle. Il nous dit bonsoir, et armé de sa pipe et d’une chope il s’enferme dans la chambre de la malade. J’aime assez le voir fumer car la pipe le rend loquace, et c’est entouré d’un nuage odoriférant qu’il est le plus spirituel. (…)

< Page précédente    ·    Table des matères    ·   Page suivante >