On ne croit pas à la guerre et pourtant l’on s’y prépare…
Image : Ouvrages de fortification le long de la frontière du Rhin. Reproduit dans Kreis (G.), 1986. Le siècle où la Suisse bougea. Un nouveau regard sur le XIXe. Lausanne : Editions 24 heures, p. 120.
Chaux-de-Fonds le 5 janvier 1857
Mon très cher frère,
Je commence ma lettre par te souhaiter une heureuse année, je prie Dieu de t’accorder une bonne santé, de te faire prospérer et de te garantir de tout mal, mon cher Charles. Ta lettre nous a fait bien plaisir et est venue nous rassurer sur ton état de santé car nous étions bien inquiets. (…)
Combien tu es heureux mon cher Charles d’être en Amérique, sans doute tu lis les papiers, et tu sais que le roi de Prusse déclare la guerre à la Suisse parce que celle-ci ne lui accorde pas ce qu’elle [sic] demande, c’est-à-dire le relâchement des nobles prisonniers de Neuchâtel enfermés depuis la révolution du mois de septembre.
La Suisse accepte la guerre et les frontières depuis Bâle à Constance sont gardées, on ne fait plus que des préparatifs de guerre et la majeure partie se réjouit d’aller repousser l’ennemi, les royalistes fuient en France, pour ne pas aller contre leur roi. Cependant la diplomatie travaille pour avoir la paix, et bon nombre de personnes croient que les affaires s’arrangeront ; Dieu le veuille ! Comme qu’il en aille le commerce souffrira et ce sera le pire. Si tu étais ici, il faudrait t’équiper malgré ton exemption, on enrôle tout le monde et on ne laisse que les perclus. Pourtant la Suisse n’est pas pauvres d’hommes, mais plutôt de vivres. C’est pourquoi je le répète tu dois être content d’être là, quant au foyer de la guerre, Neuchâtel ne risque rien à cause des montagnes. (…)
Louise [une autre sœur de Charles] ne peut pas t’écrire, elle est obligée de tricoter des bas et des chaussons pour son mari, s’il faut qu’il parte (…). Frédéric [le mari en question] ne croit pas à la guerre et pourtant il s’y prépare. (…)
Adieu mon très cher Charles, ne nous oublie pas dans tes prières, c’est Dieu seul qui nous conduit ici-bas, aussi attendons-nous à lui avec assurance, sois sûr que nous pensons toujours à toi, je t’embrasse avec effusion de cœur
Ta sœur Adèle
P.S. Tous les journaux s’accordent à dire que nous aurons la paix, Dieu soit béni !