Retour en France

"J’aurais tant voulu passer mes vacances là-bas à Neuchâtel, je me serais mieux distrait qu’ici à Choisy."

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Choisy le Roi, le 2 septembre 1918

Chère Irène,

J’ai reçu ce matin ta carte du Val-de-Ruz, inutile de te dire qu’elle m’a fait plaisir. J’ai reconnu tout de suite La Maison Rouge. Je vois que tu passes tes vacances agréablement parmi tes cousins et cousines à travailler aux champs. En effet cela me fait une immense envie. J’aurais tant voulu passer mes vacances là-bas à Neuchâtel, je me serais mieux distrait qu’ici à Choisy. Heureusement que je commence à travailler le lundi 9 septembre chez mon père.

Mon père en arrivant en Suisse a revu un de ses amis qui lui proposait de racheter une usine. Mon père a réfléchi et a fait l’affaire. Il la dirige lui-même son frère est chef d’atelier et quant à moi quelques mois d’apprentissage et mon poste sera assuré j’en suis encore plus content. (…)

Sur ta carte j’ai lu que tu ne recevais pas de mes lettres je te dirai que c’est la censure qui fait beaucoup ce retard car ils ont encore assez de travail ces pauvres censeurs. Mais tous les 15 jours je t’écris une lettre sois-en certaine. (…)

Ici je n’ai revu personne de mes connaissances si ce n’est que mon oncle et tante et quant aux autres ils sont partis à Pau ou à Tulle. Juge si je m’ennuie, ici seul sans ami, mon père je le vois le matin et au soir de même pour mon oncle et Alfred. Quant à tante et maman elles font le ménage. Enfin il faut réagir disent les « Alexanders » tu dois connaître ça j’espère.

J’ai envoyé ma carte à Mme Tartaglia je (la) lui ai adressée au Collège secondaire des jeunes filles à Neuchâtel je crois avoir bien fait.

Voudrais-tu s.t.p. me dire si de mes camarades sont morts par cette grippe. Tu n’auras qu’à demander à Rana qu’elle le demande à Papillon. (…)

Tu me dis dans ta lettre qu’il y a beaucoup de fruits là-bas ici c’est le contraire je vais te donner quelques détails sur les fruits. La livre de raisin 2, la livre de poires 2.20, la livre de prunes 2.10, la livre de pêches 2.10. Voici quelques prix courants des fruits, je te dirais donc de t’en régaler là-bas s’ils ne sont pas chers car en France il n’y a pas de fruits, tu riras peut-être si je te dis qu’un melon vaut le moins cher et la moitié de votre boule de pain 3.50 à 4 ce n’est pas cher ! c’est la guerre !
Maintenant le temps est beau voilà 6 semaines que nous n’avons pas eu d’eau cela a fait beaucoup de mal aux jardins potagers c’est la sécheresse complète il y a des crevasses comme pour y passer ma main. Heureusement que c’est la fin des callicules (sic).

Tu dois voir maintenant que nous marchons bien sur le front. Nos pousse-cailloux y vont de l’avant ainsi que les Tommies et les Yancks (sic). Aujourd’hui 2 septembre c’est l’anniversaire du siège de Maubeuge et le 7 sera celui de sa capitulation. Et il y avait 4 ans le 1er que mon père avait été fait prisonnier. Que c’est vite passé ces 4 années.

Mon père a conservé de la Suisse de très bons souvenirs aussi m’a-t-il promis que dans un an ou 2 si les affaires marchent j’irai passer mon congé de 2 mois là-bas je m’en réjouis. Aussi je lui ai promis de travailler et de lui faire voir que je conserve toujours le même sang des Riquaire. Ici à l’usine le congé se prend en juillet et finit en septembre en sorte c’est bon pour passer de bonnes journées. J’attends bien vite ce temps à passer pour aller vous dire un petit bonjour.

Je vois ici le résultat de l’offensive d’août c’est « merveilleux » ce que l’avance est belle et le résultat joli en butin. Encore 2 mois et mon petit pays sera délivré du joug boche.

Je fais des frais pour mon herbier j’ai acheté une presse pour faire sécher mes plantes et 100 feuilles de buvard spécial. J’ai aussi fabriqué une boîte à dimension voulue où j’y ai mis mes feuilles en somme j’enjolive mon herbier. Je ne puis me faire au pays parisien comme je me suis lié au pays neuchâtelois. D’ailleurs ce n’est plus le même pays ici c’est la France mais industriel mais là-bas c’est la Suisse aux petits sentiers.

Vraiment je n’ai plus reconnu Paris, maintenant il est sale ce n’est plus les rues de Neuchâtel. Enfin je suis content de revoir la France mais ce qui est joli c’est l’amour d’être vainqueur d’un ennemi aussi redoutable.

Enfin je vois que je tire à la fin de ma lettre mais avant de te quitter n’oublie pas ce que je t’ai demandé j’espère et n’oublie pas de remettre à Mme et Mr Sandoz mes salutations ainsi qu’à Mlles Hélène et Nelly qui j’espère ne (se) sont pas ennuyées pendant leurs vacances.

Tu serreras bien la main à Suzi et à Yvonnette pour moi et garde pour toi les meilleures pensées d’un petit Français.

Jean Riquaire

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