Une jeune veuve seule pour éduquer quatre enfants

Mariée avec Alexandre Houriet en 1851, Rose Dubied perd huit ans plus tard son époux. Elle vient d’avoir trente ans et elle a quatre enfants en bas âge : Anna, 6 ans et demi, Charles, 5 ans, Cécile, 3 ans et Esther, 7 mois. Dans son désarroi, elle prend la plume pour tenir un journal intime, qui se présente plutôt comme un journal de deuil, du 18 juin 1859 au 31 décembre 1862. Elle parle ainsi de ses soucis de mère.

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Depuis la mort de son cher papa, j’ai dû éloigner de moi ma chère petite Anna, l’autorité paternelle faisait déjà défaut, et brisée comme je le suis par le chagrin, je me sentais incapable de lutter contre ce caractère difficile. Hier, j’ai fait visite à cette chère enfant, que j’ai été heureuse de sa joie de me revoir, et d’entendre ses maîtresses me parler d’elle avec affection et satisfaction ; Dieu veuille me donner les qualités qui me manquent pour les élever, mais surtout pour les amener à lui. (…)

Il y a aujourd’hui 5 mois qu’Alexandre m’a dit son dernier adieu, les jours s’écoulent, les mois se passent et je suis toujours là en face de mon affreuse douleur, à chaque instant je vois des femmes heureuses auprès de leurs maris, des enfants sur les genoux de leur père, moi je suis toujours seule, mes enfants ne peuvent plus se réfugier dans les bras de leur père…

Je ne sais ce que je dois faire de notre chère Anna, faut-il la reprendre à la maison ? ou faut-il la laisser encore à Malmont, je ne cesse de demander à Dieu de me diriger et de me mettre au cœur ce que je dois faire (…). Ma chère enfant me fait besoin, en la reprenant maintenant j’ai peur de céder à une faiblesse que je regretterais plus tard. Anna apprend là-haut la discipline et l’obéissance, il faut en rentrant à la maison qu’elle donne un bon exemple à son frère et à ses sœurs, j’aurai à m’occuper beaucoup d’elle, il faut que nos rapports soient faciles et affectueux. Je me sens incapable de lutter et de punir à chaque instant, il faut qu’Anna obéisse par affection et par devoir, et non pas par la crainte, je voudrais la diriger avec amour, je sais combien ma tâche est difficile… (…)

Charles a fait le méchant, il s’est endormi sans prier, j’ai dû corriger Anna ce matin, je suis découragée, je crois que Dieu m’abandonne, nos enfants qui pendant huit jours ont été un peu malades vont mieux maintenant, j’ai eu peur de la rougeole que nous éviterons, je l’espère. (…)

Je dois le dire avec douleur, mes enfants ne doivent point être heureux, lorsque je suis occupée ou seulement préoccupée je suis sans patience, sans support et gronde du matin au soir, ces pauvres petits qui déjà sont privés de l’amour de leur père (…). Il faut une réforme complète dans ma manière de faire. (…) Mes enfants demandent une grande surveillance, il faudrait s’en occuper beaucoup et mon temps ne m’appartient pas puisque je suis dans la nécessité de gagner notre vie. (…) il faut que Dieu supplée à tout ce qui me manque et accomplisse un miracle d’amour en leur faveur. (…)