A La Chaux-de-Fonds dans les années 1930, un Noël en 4 actes

Noëls à la bonne franquette ou dans la vaisselle d'apparat mais toujours "à la montagnarde"

Dans ses Mémoires, écrits en 2007 à l'âge de 79 ans, Monsieur Roger Schlup, un fils d'horlogers modestes, se souvient des Noëls de son enfance, à La Chaux-de-Fonds dans les années 1930.

Extraits:

Je me souviens de ces Noëls blancs où nous longions, en famille, "vêtus de propre", la "Combe-Grieurin". Une petite corbeille pleine de cadeaux chargée sur la luge "Davos", la "Mercédès" des luges nous suivait de près. (...)

Comme nous ne disposions pas de l'espace, de la vaisselle comme du mobilier nécessaires pour recevoir dignement Grand-maman Schlup, tantes, oncles et cousins, dans notre plus que modeste logement du cinquième, nous nous laissions inviter en attendant des jours meilleurs. Si Noël se passait chez tante Hélène, nous allions pour Nouvel-An chez tante Mathilde. Ce mode de faire perdurera, à quelques exceptions près, des années, malgré la mobilisation qui survint et les cartes de rationnement qui en découlèrent. Chez tante Hélène, nous mangions la dinde farcie aux marrons. Cette bête offerte chaque année par tante Emma était très attendue. S'ensuivait, comme bien entendu, un ou deux desserts.

Ici, nous mangions dans une vaisselle très hétéroclite, à la bonne franquette, relaxe, pas snob du tout.

Chez tante Mathilde, par contre, on misait sur le hors-d'oeuvre et le dessert. Vol-au-vent maison rivalisait avec les meringues quant aux préférences de chacun. Le petit entre-deux se composait  tout simplement d'un lapin ou d'un lièvre au vin. Le menu dépendait du quine acquis et de la date à laquelle avait eu lieu le dernier match au loto du "Cercle de l'Ancienne", dont son mari, fut un des piliers principaux. Pardonne-moi tante "Titine", j'omettais de mentionner dans l'étalement de ce menu la soupe de gruau dans laquelle nous trouvions un relent de jambonneau, fort alléchant, à déguster plus tard dans la soirée, et que dire des fameuses pommes-de-terre "stock", accompagnatrices de tout bon mets.

Ici, par contre, c'était la grande vaisselle d'apparat, le dîner de mariage qui ne sortait du buffet que rarement dans l'année. L'ambiance très sereine de début de repas perdurait jusqu'au moment des "cafés-chauffeur"! La suite se déroulait de façon nettement plus "montagnarde".

(...) Ces rencontre familiales se déroulaient immuablement de la même façon. Le programme comportait quatre parties, toutes appréciées. La première comprenait le repas déjà décrit ci-dessus sans oublier, pour accompagner le café, le "petit canard" pour ces dames.

C'est assez curieux de se rappeler la fin d'un repas de ces années-là; que ce soit pour un anniversaire, une fête occasionnelle ou comme celles ci-dessus citées, aucune agape ne se terminait sans un "digestif". Sur la table se trouvaient les bouteilles de marc, de prune, de kirsch... Inutile de préciser qu'il n'était pas nécessaire d'ajuster un biberon aux goulots des bouteilles pour que nos aînés en dégustassent un petit verre, du moins dans un premier temps, en présence des dames qui ne manquaient jamais d'en faire un prélèvement afin de suçoter un ou deux "petits sucres". Excusez-moi  d'insister un peu trop peut-être sur cette rasade toute féminine! Une fois celles-ci parties à la cuisine, pour s'occuper de la vaisselle, il se pouvait qu'il y eut quelques tricheurs pour renouveler la "compresse". Je n'ai pas souvenir qu'il y ait eu abus en la matière. A plus forte raison que l'apéritif, que j'ai omis de citer au départ,  se composait bien souvent, pour les hommes d'une "bleue" bien chargée, pour les dames sages d'un petit verre de Porto. La "bleue" ou "petit lait", déjà prohibée, importée directement du Val-de-Travers, via le "Cercle de l'Ancienne", sentait l'anis, loin à la ronde!!!