1939-1945: le rationnement, tel que vécu par quelques Neuchâtelois

Témoignages et souvenirs sur les difficultés du rationnement eet la manière de les contourner.

1939-1945: le rationnement, tel que vécu par quelques Neuchâtelois

Le système du rationnement et la manière dont il est vécu durant la Seconde Guerre mondiale par les Neuchâtelois font l’objet de quelques mentions dans les fonds des AVO. Certains fonds possèdent aussi des coupons de rationnement et/ou des cartes de légitimation nominatives donnant accès aux coupons. C’est le point de vue des acheteurs. Le point de vue du vendeur est illustré par le fonds Paul Gnaegi qui contient un épais dossier de 82 pièces relatif à une affaire illégale de vente de beurre (170 kg !) hors tickets de rationnement entre 1942 et 1946. Ce cas se terminera par une condamnation à verser une amende. Le dossier est accompagné de nombreuses pages de tickets collés de fromage, beurre et lait jusqu’en 1948.

Comment la population vivait-elle le rationnement ? Ce qui ressort des quelques témoignages rassemblés ci-dessous montre que les familles pauvres, dont la précarité financière est encore augmentée en temps de guerre, développent un système de débrouillardise pour améliorer leur ordinaire. Les gens aisés, eux, tentent d’augmenter leur ration par des achats de marchandises au noir, un marché qui favorisait aussi bien les acheteurs que les vendeurs, mais qui était bien sûr réprimandé en cas de dénonciation. Toutefois, si les restrictions alimentaires préoccupent les ménages et bousculent les habitudes, elles ne semblent pas provoquer de réels problèmes touchant à la santé et à la survie des populations.

Un ouvrage sur le sujet est en préparation par l’historien Maurice Evard.

Fonds Maurice Girardin (MGI- fonds 9)

Récit de Maurice Girardin (1936-2020) sur son enfance dans une famille pauvre à La Chaux-de-Fonds. Il parle ici de son père, Momo, sans travail, mais débrouillard.

p. 7 « Durant la guerre et l’année qui suivit [1946], les Suisses étaient rationnés. Non seulement il fallait des sous pour acheter, par exemple, un kilo de pain, mais aussi le « coupon » permettant cet achat. Le nombre de coupons était distribué mensuellement aux familles en fonction des membres la composant ; je ne me souviens plus quels étaient les autres critères.
Comme souvent il nous manquait soit l’argent, soit les coupons, je me souviens que lorsqu’il rentrait chez nous, Momo slalomait entre les boulangeries du quartier, car si à l’une il devait l’argent du dernier achat, à l’autre il devait le coupon de l’avant-dernier achat. Il changeait donc de quartier pour acquérir, contre monnaie et coupon, le pain du jour. »

Fonds Louis Turban (LTU- fonds 25)

Dans son journal, tenu de 1911 jusqu’à sa mort en 1951,Louis Turban décrit son quotidien. La nourriture, la boisson et les amis y tiennent la meilleure place. Le rationnement n’empêche pas de faire bombance, surtout si l’on réussit à acheter de la nourriture hors tickets de rationnement. Dans cet extrait, l’expression « on va les deux » signifie qu’il est avec sa femme.

p. 387 « Lundi de Pâques 2 avril [1945]. […] On va les deux jusque chez Louis Maurer aux Loges, on y trouve Mr et Mme Javet dans le café. On réussit à avoir du bon jambon sans cartes, 2 rations, et on boit du vin rouge français à f4 le litre, on y fait un festin ribouldingue, on y tient jusqu’à près de 7 heures du soir et on revient ensemble un peu quine, on les quitte vers la Métro et les deux on va au Ciné Métropole. »

Fonds Roger Schlup (RSC-fonds 42)

Dans le récit de sa vie à La Chaux-de-Fonds, écrit vers la fin de sa vie, Roger Schlup, âgé de 15 ans au début de la guerre, analyse la situation en historienet nous apporte un éclairage plus spécifique sur le marché noir largement pratiqué par la classe aisée, à laquelle sa famille n’appartenait pas.

p. 17 « [La livraison du lait à domicile] a perduré jusqu’à la fin de la guerre pour la simple et bonne raison que ce contact direct permettait aux familles aisées de s’alimenter, par le « marché noir », en produits frais directement de la ferme. Les paysans-laitiers, pas perdants du tout dans la transaction, transportaient au fond de leurs bouilles, dans des emballages adéquats, le beurre, les œufs, la viande et le saindoux du dernier cochon sacrifié ! »

p. 96 « Dès le lendemain [du 2 septembre 1939] le premier rationnement fut instauré pour s’étendre assez rapidement à tous les produits de première nécessité ; parallèlement le marché noir se développa pour la classe aisée craignant de manquer de matière grasse, de viande, de farine, de sucre, etc. Aux dires des responsables du ramassage des ordures ménagères, c’est incroyable les quantités de produits périssables retrouvés dans les poubelles, à la décharge. Ceci plus spécialement dans la première année du rationnement et des périodes qui suivirent chaque aggravation de la situation économique. Pour nous et la famille en général le problème ne se posait pas outre mesure vu que nous avions toujours dû faire attention durant les années de crise, pour des raisons financières. Pour les œufs nous avions nos poules, pour la viande nous avions nos lapins, pour nos légumes nous avions nos choux-raves si succulents ! Il nous est arrivé, quelquefois en fin de mois, de pouvoir troquer contre espèces sonnantes et trébuchantes quelques coupons de repas ou voire de textile. »


Fonds Bosonnet-Hauser-Vouga Thérèse (TBH – 39)
Réf ? Lettres de Marie Vouga à Thérèse Hauser, écrites entre 1933 et 1952.

« Gobette prend grandement soin de vous; elle veille également à votre confort matériel en vous faisant parvenir régulièrement des vêtements, marchandises (bois, beurre, coupons de rationnement, argent, billets de 20 ou même de 100 francs). »

Fonds Nelly Grossenbacher (NGR – 14)
Réf ? Nelly Grossenbachera 17 ans au début de la guerre, elle se souvient encore des coupons de rationnement lorsqu’elle rédige le récit de sa vie en 1996. Des passages ont fait l’objet d’une lecture dans le cadre des « Lundis des mots » sous le titre : Cinq orphelins en 1930.

« Si Noël se passait chez tante Hélène, nous allions pour Nouvel-An chez tante Mathilde. Ce mode de faire perdurera, à quelques exceptions près, des années, malgré la mobilisation qui survint et les cartes de rationnement qui en découlèrent. Chez tante Hélène, nous mangions la dinde farcie aux marrons. Cette bête offerte chaque année par tante Emma était très attendue. »

Fonds Vogel Paul et Raymond (PRV – 57)
Réf ? Dans le récit de la vie de Raymond Vogel (1898-1968), vigneron à Cormondrèche, rédigé par son neveu, on apprend la situation particulière des fermes d’alpage durant le rationnement.

« Passant d’année en année par les mêmes endroits, Raymond connaît tous les tenanciers des bistrots, des fermes et des alpages. Il sait d’avance où il sera bien accueilli, là où on l’invitera pour boire un verre ou partager un repas (notamment à la Rougemonne chez les Guillaume, au cours des années 1940). Il sait en profiter, surtout pendant la guerre, car les rationnements n’existent pas dans les fermes d’alpage où l’on mange à satiété jambon de campagne, crème, beurre et bon pain de ménage. »

Fonds Joly Pierre et Madeleine (JOP – 133)
JOP.B.3 Madeleine Joly, dans le récit de sa vie rédigé en 2013, évoque son mariage durant la guerre.

« Pierrot, au service militaire, demande un congé pour le mariage qui a lieu le 5 août 1944.
Personne n’ayant de voiture, nous arrivons à l’église en taxi.
Nous y faisons une entrée princière aux bras de nos père et mère, entourés de nos familles, amis et chanteurs du chœur mixte, dont nous faisons partie tous les 2.
Nous prenons l’apéritif chez Rieder et abandonnons nos invités pour un aller-retour chez le photographe. Toujours en taxi. Le diner se tient à la rue de la Serre. C’était bien mais simple, car il y avait des tickets de rationnement. »

Fonds Famille Hoffmann (HOF – 48)
HOF/D.1 Joli exemple de menu de noces du 30 août 1941, en période de rationnement. Photo.


Fonds Gnaegi Paul (GNP – 129) A TERMINER
GNP.B.1 Dossier relatif à la vente de produits laitiers (170 kg de beurre) vendus hors tickets de rationnement durant la guerre et affaire pénale consécutive. 82 pièces. 1942 à 1946. A consulter aux AVO.Photo.
GNP.B.2 Nombreux tickets de rationnements jusqu’en 1948 (fromage, beurre, lait).

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