Vendredi 15 avril 1887 : Daniel reprend sa visite de Prague

Image : Prague, 1887

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Je vais d’abord voir l’église S. Loretto, en forme de cloître, entourant la « chambre rouge ». Et d’abord le pourtour, un cloître dont les plafonds et les parois sont ornés de fresques. Les premières, celles des plafonds, représentent Marie comme consolatrice des affligés, reine des élus, etc., etc., etc., les secondes, celles des parois, représentent toutes les images miraculeuses de Marie, celle d’Einsiedeln, entre autres, celle de Lourdes aussi, celle du couvent voisin, du couvent des capucins que les protestants, selon la légende et le sacristain, avaient une fois jetée dans le feu, mais qui n’en avait pas souffert du tout, comme les compagnons de Daniel (1).

Dans la chapelle Notre-Dame des douleurs se trouve la statue d’une sainte à barbe, crucifiée. Le cicérone qui a un air des plus catholiques et bigot, nous parle d’une certaine demoiselle qui s’appelle sainte Kerkemis, ou quelque chose d’approchant. Cette demoiselle-là était devenue protestante et voulait épouser un hérétique. Elle demanda un signe à Dieu qui, pendant une nuit, lui fit pousser une barbe. Elle fit alors savoir à son fiancé qu’elle restait catholique et vierge et qu’elle s’était fiancée avec le Seigneur. Son père, irrité, la crucifia. Et c’est ce qu’on voit, en effet, là, un mannequin de femme, habillée d’une robe bleue, portant une barbe rustre et crucifiée. Il y a encore toute une histoire avec la pantoufle.

Mais je n’ai rien compris du tout. Dans chacune de ces chapelles, on voit encore une foule de reliques, des os, précieusement enchâssés, encadrés.

Puis, nous passons dans la chambre rouge, la « casa » de la Mère de Dieu, qui est une reproduction fidèle de celle de Loreto. Je me laisse tout dire par mon guide qui m’en conte. La Maison de Marie était d’abord à Nazareth et les anges l’ont transportée en Dalmatie, puis de là, à Ancona, où elle est encore, me dit-il. À Prague, on en a fait une sincère reproduction…

Je me suis tout fait montrer par ce guide, auquel je n’ai pas parlé de la vérité. Pourquoi ? Par honte ? Non. Je n’y tenais pas. N’eut-ce pas été jeter les perles aux pourceaux ? Ou au moins parler à un mur ?...

[Il retourne ensuite à la cathédrale.]

Je revois ensuite tout ce que j’ai vu hier, plus en détail. Je trouve le chandelier, mieux le candélabre que les bonnes gens croient venir du Temple de Salomon. Le curé qui m’accompagne, m’en fait toute une histoire. Quand il m’eut bien tout raconté, il me fait quittance d’un sourire. Je lui donnai 30 Kr. (…)

Après avoir légèrement soupé et acheté du jambon pour demain, je vais au théâtre entendre « Don Juan », une traduction de Molière en opéra. Morale : hélas !

Au lit à 11 h. 1/5.

 

(1) Dans un des livres de la Bible, le Livre de Daniel, au chapitre 3, il est raconté le miracle dont furent les bénéficiaires Schadrac, Méschac et Abed Nego, trois amis du prophète Daniel et hauts fonctionnaires du roi Nabuchodonosor. Adorateurs de Yahvé, le Dieu de Daniel, ils refusèrent de se prosterner devant la statue d’un dieu du roi. Celui-ci alors les fit jeter dans une fournaise ardente. Or les flammes les épargnèrent. Devant ce miracle, Nabuchodonosor s’inclina devant la puissance du Dieu de Daniel et de ses amis.